En juillet 2016, la filiale de Lviv de l’organisation “SOS Crimée” a reçu Yuriy Iltchenko, un prisonnier politique qui a réussi à s’évader d’une prison en Crimée. L’UCMC a publié une version courte de l’article d’”Oukraïnska pravda” avec la description des tortures et des mauvais traitements dans la cellule d’isolement russe.
Yuriy a été arrêté en juillet 2015 par les membres du Service de sécurité russe et le Centre de prévention de l’extrémisme. Pendant 11 mois, il est resté dans une cellule de détention provisoire à Simferopol. Iltchenko a été accusé de critiquer l’annexion de la Crimée et l’intervention russe à l’est de l’Ukraine sur ses pages dans les réseaux sociaux.
En juillet 2016, il a été transféré en résidence surveillée, il a pu alors fuir et rejoindre l’Ukraine continentale.
L’ arrestation
Après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, la famille d’Iltchenko a refusé de prendre la nationalité russe. Youriy Iltchenko dirigeait une école linguistique en Crimée où une dizaine de langues étaient enseignées (ukrainien, langue des Tatars de Crimée, turc, polonais, anglais, etc).
Yuriy a pris une position pro-ukrainienne qu’il partageait sur son propre blog. Il rédigeait notamment des pétitions sur la reconnaissance du Madjlis comme seul organisme du pouvoir en Crimée et sur le blocus global de la Crimée.
Le 25 août 2014, son bureau a été visité par les membres du Service de sécurité et du Centre de prévention de l’extrémisme venus pour avoir “une conversation profilactique” avec Yuriy sur la “prévention de l’activité extrémiste”.
Le 2 juillet 2015, 10 personnes ont pénétré de force dans l’appartement de ses parents. Ils ont informé Yuriy qu’ une poursuite pénale avait été engagée contre lui et qu’il était accusé d’appel à la haine et d’avoir diffusé un texte antirusse sur Internet. Il a été emmené dans une cellule de détention provisoire à Sébastopol et interrogé. Les enquêteurs ont proposé à Yuriy de coopérer et de signer des aveux, notamment,de dire qu’il était le coordinateur du Pravy Secteur à Sébastopol, qu’ il voulait faire exploser les monuments de Lénine en Crimée, etc. On l’a menacé de l’envoyer purger sa peine à Magadan pour 20 ans s’il refusait de signer.
Yuriy a refusé de coopérer. Il a alors été accusé d’activités extrémistes.
La prison
Yuriy est resté en prison du 2 juillet 2015 au 2 juin 2016.
Les relations entre les camarades de cellule et les employés de la prison.
Yuriy Iltchenko était constamment battu par ses camarades de cellule encouragés par les employés de la prison qui leur avaient promis de réduire la durée de leur emprisonnement ou de leur accorder la prison avec sursis. Ses camarades de prison mettaient la pression sur Yuriy pour qu’ il coopère avec le Service de sécurité et prenne la nationalité russe. Il était menacé de viol.
Il n’avait pas non plus accès à l’aide médicale, malgré ses demandes. Il devait attendre plusieurs mois avant d’être reçu par un médecin.
Les conditions de détention et les tortures
Yuriy raconte: ” les cellules étaient surpeuplées. Je n’avais même pas de lit pour dormir. Nous dormions à tour de rôle. Parfois, il fallait dormir sur le sol.
Je n’ai eu de couverture que 10 mois après mon emprisonnement et une tasse, une cuillère et une assiette que 9 mois après. Pendant plusieurs mois, je n’ai pas eu la possibilité de recevoir de médicaments.
On était forcé de dormir sous une lumière crue 24 h sur 24, cette lumière était toujours allumée. Parfois, on nous interdisait de dormir pendant plusieurs jours. On nous obligeait à rester debout, ou bien, quand on ne pouvait plus tenir, à rester assis sur un tabouret. Quand nous étions sur le point de nous endormir, on nous battait.
Quand je me suis presque évanoui en raison d’une tension très basse, les services de sécurité m’ont accusé de simulation et battu.
À un certain moment on m’a emmené à l’hôpital. Les services de sécurité ont forcé le médecin à écrire une déclaration pour dire que je simulais. De même, lorsque les médecins de l’hôpital délivraient des certificats médicaux, les services de sécurité leur dictaient ce qu’il fallait écrire.
Les rendez-vous avec la famille
En 11 mois de détention, Yuriy n’a vu sa famille qu’une seule fois. On l’empêchait également de voir ses avocats.
L’isolement carcéral
«Dans la cellule d’isolement carcéral, les conditions étaient encore pires : une cave peuplée de rats. Une fois, j’y suis resté pendant 5 jours. Ils ne me laissaient pas dormir de 6 heures du matin à 10 heures du soir. D’ailleurs, je n’avais pas non plus d’endroit pour m’asseoir, car le lit était défait à 6 heures du matin et accroché au mur. Pendant 16 heures, je ne pouvais que marcher ou être assis sur le sol de béton froid.
Nous n’avions pas accès à l’aide médicale. Le médecin avait dit qu’il fallait se laver tous les jours et changer les draps, alors que nous avions été privés de bain pendant 2mois et demi et que nos draps n’étaient changés qu’une fois tous les trois mois».
L’alimentation
«L’alimentation était d’une telle qualité que nous évitions de prendre le petit-déjeuner et le dîner. Pour le déjeuner, on avait de la soupe, mais il fallait la faire bouillir avant de la manger. Le plat principal qui se résumait à une portion de pâtes collantes ne nous était servie qu’une fois par semaine et c’était la fête, car, les autres jours, nous n’avions qu’une portion de bouillie non-cuite immangeable.
L’eau était d’une très mauvaise qualité et sentait en permanence le chlore, donc nous la faisions bouillir aussi. Il existait des limitations absurdes pour les colis envoyés par les proches. Il était interdit d’envoyer du sucre en poudre, de l’huile, des produits maison, des œufs, des fruits, des légumes et de la viande; il fallait acheter tout cela dans un petit magasin dans la prison».
La discrimination linguistique
Yuriy a été sévèrement battu, car il parlait l’ukrainien et la langue des Tatars de Crimée. Il était forcé de ne parler que russe.
En prison, il était interdit de parler les langues étrangères et de lire les livres.
L’ évasion de Crimée
Le tribunal et la libération en résidence surveillée
Le 2 juin 2016, le tribunal de Sébastopol a placé Yuriy en résidence surveillée jusqu’au 25 juin. Cependant, plusieurs restrictions lui ont été fixées : l’interdiction de quitter l’appartement, d’utiliser le téléphone et Internet, voir des gens, excepté ses parents, envoyer et recevoir des lettres et des colis par la poste. Il était même obligé de demander une autorisation pour voir son avocat, ce qui est tout à fait illégal.
Les premiers jours, l’appartement de Yuriy était surveillé par des membres des services spéciaux. Yuriy portait un bracelet de surveillance électronique, des caméras d’enregistrement ont été installées dans la cour son immeuble.
L’évasion
Les policiers faisaient des allusions à la possibilité d’une deuxième arrestation. Donc, il a décidé de fuir dans la nuit du 11 juin.
Yuriy a quitté son appartement avec les affaires de ses parents. Après avoir traversé la cour avec les caméras, il a enlevé son bracelet à l’aide d’un couteau.
Il a fait de l’auto-stop pour aller à Bakhtchissaraï, a demandé à un passant de lui prêter son portable pour commander un taxi jusqu’à la gare routière de Simferopol. À la gare, il a pris une voiture pour aller à Armyansk.
La traversée de la frontière
En arrivant à la frontière, il a vu un champ d’un côté et des murs avec des fourrés impénétrables de l’autre côté. Il savait que le champ était miné, mais il aurait préféré mourir plutôt que de revenir dans la prison russe.
Donc, Yuriy a choisi de passer par le mur. Une fois qu’il a réussi à le traverser, il a vu un militaire russe, donc, il a dû courir rapidement vers le point de passage ukrainien se trouvant à une dizaine de mètres. Il a raconté son histoire aux gardes-frontières, leur a montré ses papiers et ils l’ont laissé passer.
L’arrivée à Lviv
Yuriy est arrivé à Lviv, en passant par Mykolaїv. L’organisation «SOS Crimée» lui a fourni de l’argent, de la nourriture, un logement et a facilité sa réhabilitation médicale et le renouvèlement de ses papiers. Quelques temps plus tard, «SOS Crimée» a aussi aidé les parents de Yuriy à quitter la Crimée annexée pour rejoindre leur fils à Lviv.
Source: UKRAINE CRISIS media center