Selon le commandement des forces aériennes ukrainiennes, la Russie a encore lancé une série de missiles contre l’Ukraine le samedi 14 janvier. L’un de ces missiles Kh-22, tiré depuis la région de Koursk vers 15h30, a frappé un immeuble résidentiel de la ville de Dnipro, dans l’est du pays. La version selon laquelle le missile qui a touché un immeuble a été abattu par les systèmes de défense aérienne de l’Ukraine n’est pas crédible. Le fait est que les forces armées ukrainiennes ne disposent actuellement pas de feu capable d’abattre ce type de missiles de l’ère soviétique, élaborés pour détruire des cibles importantes en mer. Les frappes de Kh-22 sur des cibles au sol sont connues pour leur faible précision.
Une frappe russe a visé des habitations de la ville de Dnipro, dans l’est de l’Ukraine, samedi 14 janvier. Un des missiles a touché un immeuble résidentiel logeant plus de 1 100 personnes, dont deux entrées se sont effondrées. Le bilan est d’au moins 36 morts et de plus de 75 blessés. 35 personnes sont portées disparues.
La propagande du Kremlin dans le but de dissimuler les crimes de guerre de la Fédération de Russie a immédiatement réagi à ce tragique événement. Les médias russes ont diffusé plusieurs versions, allant d’un «missile des systèmes de défense aérienne de l’Ukraine» à «un explosif dans le sous-sol de l’immeuble».
Ainsi, Rouslan Ostachko, le présentateur du talk-show de propagande russe «Vremya pokazhet» («Le temps le dira» – nldr) de la chaine Perviy Kanal, a publié sur sa chaîne Telegram une information selon laquelle un immeuble résidentiel de Dnipro aurait été sapé par le Service de sécurité de l’Ukraine «pour avoir «une image» dans les médias occidentaux». Selon le propagandiste, les témoignages d’habitants prouveraient cette version. «C’est un immeuble résidentiel sur la Naberezhnaya Pobedi, 118. Il a explosé par le bas. Il n’y a pas eu de tir. Lîmmeuble s’est effondré comme après une explosion de gaz», lit-on dans la publication.
Assez rapidement, les propagandistes russes ont renoncé à cette version fantaisiste, car des témoins ont commencé à diffuser en ligne des vidéos de la frappe du missile sur cet immeuble. Simultanément, les propagandistes et leurs agents d’influence ont commencé à diffuser d’autres hypothèses, notamment celle du « travail de la défense aérienne ukrainienne». Dans un cas, un missile «ukrainien» aurait touché l’immeuble et provoqué une explosion de gaz. Dans un autre, la course d’un missile russe aurait été interrompu par les militaires ukrainiens. Ces versions de la propagande du Kremlin ne tiennent pas debout.
Après chaque attaque contre des installations civiles, les propagandistes russes accusent les prétendus «lancements infructueux de missiles de défense aérienne ukrainiens». Comme précédemment, cette version n’a aucun fondement. StopFake a par exemple déjà expliqué que les missiles de défense aérienne ne sont pas censés frapper des cibles au sol, mais uniquement des cibles aériennes. Pour en savoir plus, lire «Infox: L’Ukraine dissimule les «échecs de sa défense antiaérienne» en inventant des «attaques de S-300» russes» et «Infox: Un immeuble résidentiel à Kyiv situé sur l’avenue Lobanovski a été détruit par un missile anti-aérien ukrainien». Chaque missile anti-aérien est programmé pour s’auto-liquider s’il rate sa cible. Il dispose également de systèmes dits «contre les chutes». Et si quelque chose peut tomber au sol, c’est l’étage supérieur. Par conséquent, il est extrêmement improbable qu’un obus de défense aérienne ukrainien ait touché un immeuble résidentiel et causé une telle destruction.
Il convient de préciser que la Russie dispose de systèmes de défense aérienne S-300 (et S-400) capables d’atteindre des cibles au sol. Les analystes militaires notent que ces missiles sol-sol manquent souvent leurs cibles, entraînant des pertes civiles. Le 14 janvier, la Russie a bombardé Kyiv avec ce type d’armes pour la première fois depuis le territoire du Bélarus. Auparavant, les soldats russes bombardaient systématiquement les villes ukrainiennes situées en première ligne comme Kherson, Mykolaïv, Zaporijjia, Kharkiv, avec des missiles anti-aériens S-300, mais en les modifiant pour en faire des missiles “sol-sol”. L’Ukraine ne possède pas cette modernisation des S-300.
En outre, dans son commentaire à la BBC, le collaborateur du Centre for Strategic and International Studies (USA) Ian Williams assure qu’il «n’y a rien qui prouve que les systèmes ukrainiens ont eu des ratés lors des récentes attaques». De même que sont peu probables les prétendus déploiements de systèmes anti-aériens ukrainiens dans les centre-villes.
Lors du lancement de la série de missiles contre l’Ukraine le samedi 14 janvier, cinq bombardiers à longue portée Tu-22M3 des forces aérospatiales russes ont lancé cinq missiles Kh-22 sur l’Ukraine. «Les stations radar ont détecté le site de lancement, l’altitude, la vitesse de vol. Il ne fait aucun doute qu’il s’agissait d’un missile Kh-22» lit-on dans la déclaration.
Une vidéo de témoin, publiée le 16 janvier sur une chaîne Telegram locale confirme également qu’un immeuble résidentiel a effectivement été touché par une roquette. La vidéo montre clairement comment une fusée tombe sur la zone résidentielle, suivie d’une forte explosion et du bruit de la détonation. La vidéo aurait été prise au carrefour de la rue Kosmicheskaya et de la rue Naberejna Peremogi. Ceci est indiqué par les immeubles de la vidéo au 3, rue Kosmicheskaya et au 1, avenue Geroiv.
Les propagandistes du Kremlin ont commencé à propagé activement des informations selon lesquelles le missile russe visait uniquement les infrastructures énergétiques critiques. Ils affirment qu’un missile de défense aérienne ukrainien aurait abattu un missile russe, le détournant de sa trajectoire. Plus tard, ils ont commencé à diffuser les propos de l’ancien conseiller du chef de cabinet du président ukrainien, Oleksiy Arestovych, qui aurait admis que l’écroulement de l’immeuble de Dnipro serait dû au système ukrainien de défense aérienne, qui a détourné le missile sur l’immeuble. Ils ont fait circulé ces propos affirmant que l’Ukraine aurait reconnu sa culpabilité dans la morts de civils. Mais les propos d’Oleksiy Arestovych ne sont pas la position officielle de l’Ukraine sur la question. De plus, le lendemain, il a déclaré que cette information restait à vérifier.
Le commandement des Forces aériennes ukrainiennes réfute complètement cette affirmation. Le fait est que les forces armées ukrainiennes ne disposent actuellement pas de feu capable d’abattre ce type de missile.
«Depuis l’invasion à grande échelle, plus de 210 missiles de ce type ont été lancés sur le territoire de l’Ukraine. Les moyens de défense aérienne n’en ont abattu aucun » lit-on dans le rapport. Seuls les systèmes de missiles anti-aériens, qui, à l’avenir, peuvent être fournis à l’Ukraine par des partenaires occidentaux (il s’agit de systèmes tels que les Patriot PAC-3 ou SAMP-T), sont capables d’intercepter ces cibles aériennes».
De plus, le colonel Yuriy Ignat, porte-parole du commandement des Forces aériennes ukrainiennes, a déclaré que les données relatives aux missiles supersoniques russes Kh-22 précédemment abattus étaient erronées : la transmission trop rapide des informations a eu pour conséquence la confusion avec un autre type de missile.
«Cela fait six mois que je parle de cela, que nous ne pouvons pas abattre le missile Kh-22. C’est un missile supersonique, dont la vitesse est de 4.000 km/h en vol. Nous n’avons aucun moyen capable d’intercepter ce missile dans l’air. Mais nous ne sommes pas non plus irréprochables: dans certaines déclarations, il a été rapporté que quelqu’un quelque part en aurait abattu un. Il est probable qu’il y a eu confusion. Cela arrive. Il y a eu quelques messages, que la propagande a aussi repris», a-t-il déclaré lors du téléthon national.
Un utilisateur Twitter ayant pour pseudonyme Der Gepardkommandant, analyste OSINT [Open Source Intelligence, ndlr], spécialisé dans la défense aérienne, confirme les propos du commandement des Forces armées ukrainiennes selon lesquels l’Ukraine n’avait aucun moyen d’abattre des missiles de type Kh-22. Il ajoute que seuls les systèmes de missiles anti-aériens, s’ils sont transférés à l’Ukraine, sont capables d’intercepter ces cibles aériennes.
Les analystes de la société ukrainienne d’information et de conseil «Défense Express» confirment également que les systèmes de missiles antibalistiques dont sont équipées les forces armées ukrainiennes n’ont pas la capacité de détruire des cibles balistiques. Toute la question est d’avoir des missiles spéciaux – les intercepteurs cinétiques, qui percutent les missiles balistiques à très grande vitesse et, par le biais de l’énergie de cette collision, détruisent le missile balistique et, plus important encore, son chargement, encore dans l’air.
Selon les experts du Defense Express, le missile Kh-22 se situe entre deux types de cibles (aérodynamiques, comme les avions, hélicoptères, missiles de croisière, et balistiques, comme les missiles, suivant une trajectoire balistique – ndlr). Mais le Kh-22 est beaucoup plus proche de la balistique. Il effectue un vol hypersonique à une altitude pouvant aller jusqu’à 22,5 km à vitesse Mach 3,5 – 4 (jusqu’à 4.900 km/h). A une distance d’environ 60 km de la zone cible, il se met en piqué avec un angle pouvant atteindre 60 degrés à Mach 2 (2.500 km/h) dans la zone cible. Il passe la section finale en moins d’une minute. Ainsi, le fait de frapper le moteur de ce missile avec les débris d’un missile de défense anti-aérienne ne ferait aucune différence – il n’est plus opérationnel, pas plus que le système de carburant. De même que le système de contrôle en cas de frappe sur une ville. L’augmentation de la précision, même de quelques kilomètres, ne fait aucune différence significative. Les analystes expliquent que ce type de missile a été élaboré en URSS pour détruire les troupes de porte-avions par une frappe nucléaire. Il dispose donc d’un système de navigation inertiel basé sur un gyroscope et un radar primitif, dont les inexactitudes sont bien connues. Près de la moitié des tirs arrive dans un périmètre de 600 mètres du site visé.
Le commandement des Forces aériennes ukrainiennes a attiré l’attention sur le fait que les frappes de Kh-22 sur des cibles au sol sont connues pour leur faible précision et peuvent dévier de plusieurs centaines de mètres. A cet égard, le maire de Dnipro, Borys Filatov, a émis une hypothèse selon laquelle l’armée russe tentait de viser la centrale thermique de Prydniprovska. Mais il a fini par frapper un immeuble résidentiel.
L’analyste politique Oleksandr Kochetkov a rappelé qu’une tragédie similaire a eu lieu le 27 juin 2022 à Krementchouk (une ville industrielle de l’oblast de Poltava, en Ukraine – ndlr), où un missile Kh-22 avait détruit le centre commercial «Amstor».
«Apparemment, le missile visait la centrale électrique, mais il a été ré-acheminé vers un immeuble résidentiel, car c’est aussi un gros objet de contraste radio basé au sol. Cette utilisation de Kh-22 contre des cibles terrestres, et surtout, à proximité d’une zone résidentielle, est totalement contraire à l’idée de sa création. Il s’agit d’un crime de guerre cynique et irréfutable» – écrit-il.
Selon Gennadiy Korban, responsable de la défense territoriale de la ville de Dnipro, il est très probable que le bombardement a été effectué par le 52e régiment d’aviation de la fédération de Russie basé à Chaikivka. La communauté OSINT Molfar a publié une liste des militaires directement impliqués dans le crime. Les noms des commandants d’équipage, des pilotes, des membres du personnel technique et des officiers d’état-major ont été indiqués.
La communauté internationale a condamné cette nouvelle attaque russe contre des civils ukrainiens. Le Premier ministre canadien Justin Trudeau a qualifié l’attaque sur un immeuble résidentiel à Dnipro de «méprisable et répugnant». Le président lituanien Gitanas Nausède a déclaré que la Russie était un Etat terroriste qui porterait certainement la responsabilité des attaques contre des villes pacifiques.