Augustin Roch, École de guerre économique
Qui n’a pas signé, un jour, une pétition sur Internet contre les radars contrôlant les excès de vitesse, contre le changement d’heure, pour ou contre François Fillon ?
Ces manifestes en ligne sont un moyen désormais couramment utilisé par des associations et des citoyens pour faire connaître un problème écologique, sanitaire, sociétal ou politique. L’utilisation est simple, le service est gratuit, les réseaux sociaux offrent une visibilité immédiate et importante à la cause défendue. Autant de paramètres favorisant un meilleur fonctionnement de la démocratie. Mais aussi, une utilisation dévoyée par des acteurs malintentionnés.
Alors que la campagne pour l’élection présidentielle bat son plein, voici un petit vade-mecum à l’usage des personnes qui ne veulent pas se faire intoxiquer. Ou comment apprécier le crédit à accorder à une pétition en ligne à l’heure des fake news et du tsunami informationnel.
Un nécessaire esprit critique
La pétition est un moyen reconnu de fédérer une communauté d’intérêt et de structurer des actions collectives, pas seulement en ligne mais aussi sur le terrain. Cependant, signer ou relayer une pétition exige d’exercer son esprit critique. Car Internet offre de grandes possibilités de manipulation.
Certaines ONG, à l’image de Greenpeace ou Oxfam, hébergent sur leurs propres sites Internet les pétitions qu’elles lancent. Mais des acteurs spécialisés se sont lancés dans l’activisme online, Change.org et Mesopinions.com étant les plus connus en France. Il existe aussi des sites proposant ce même service, adossés à des ONG américaines, comme Avaaz.org ou Sumofus.org.
Tous ces prestataires, généralement, valident au préalable le texte de la pétition, afin d’éviter à l’auteur et à eux-mêmes des plaintes en diffamation. Néanmoins, ils ne garantissent jamais l’exactitude des faits avancés dans la pétition.
D’abord identifier l’auteur de la pétition
L’authenticité d’une pétition s’évalue de prime abord en identifiant son auteur. Cela peut être malaisé au regard de la généralisation des pseudonymes sur Internet. Toutefois, quand l’auteur donne son véritable nom, il est utile de rechercher son profil LinkedIn et d’analyser le parcours affiché, de trouver son compte Twitter et d’évaluer sa notoriété ou de remonter le fil de ses tweets.
Certaines pétitions disposent également de soutiens clairement identifiés, par exemple des personnalités ou des ONG. Une recherche sur le site de ces personnes physiques ou morales, de leurs interventions sur les réseaux sociaux, permet de vérifier si ce parrainage est avéré, ou fictif.
Il s’agit ensuite d’analyser le contenu de la pétition et de vérifier si elle comporte des mensonges ou toute autre forme de désinformation. Pour ce faire, il est important d’analyser ses sources. Cite-t-elle notamment des études scientifiques, des rapports d’organismes reconnus ? La manière dont elle est rédigée est aussi révélatrice des intentions de leurs auteurs : grammaire ou orthographe hésitantes trahissant une initiative lancée à la va-vite, vocabulaire idéologique, arguments employés faisant appel à l’émotion… Il suffit parfois de copier-coller des passages sur Google pour identifier une source ou un acteur qui a choisi de ne pas apparaître. Cette enquête permet de replacer la pétition dans un contexte plus large et de déceler qui a intérêt à sa viralité.
Pour finir, la pétition doit mentionner un objectif déclaré concret et réalisable. Le destinataire de la pétition – une personne physique ou morale – doit également être cité. Il peut s’agir d’un élu, du PDG d’une grande entreprise ou encore d’une organisation internationale. S’il manque l’un ou l’autre de ces éléments, la pétition est sujette à caution.
La véracité du nombre de signataires
Il n’est pas rare de voir apparaître une pétition comprenant rapidement – parfois même dès son lancement – des milliers de signatures. Cette masse de pétitionnaires, qui peut donner une apparence de légitimité à un texte, ne dispense pas de vérifier s’il n’est pas sujet à caution.
Le manque de «spontanéité» de la mobilisation autour d’une pétition est parfois dévoilé au grand jour. En mai 2015, le blogueur Maître Eolas, un avocat pénaliste sous pseudonyme très suivi sur Twitter, a ainsi critiqué le «compteur bidon des signatures» d’une pétition créée par l’association Institut pour la justice. Attaqué pour diffamation par l’association, il a été relaxé en appel.
De telles révélations sapent la réputation des pétitions en tant qu’outil démocratique mais aussi celle des plates-formes spécialisées, malgré les mesures qu’elles mentionnent dans les mentions légales du site pour prévenir ces dérives. En effet, les pétitions peuvent être un moyen utilisé par des activistes pour faire valoir leurs intérêts en manipulant l’opinion publique. Cette pratique est désignée sous le nom d’astroturfing, une technique qui consiste à simuler la spontanéité d’un mouvement, comme exposé dans le rapport du réseau d’experts en intelligence économique AEGE.
Les signatures de Léon Blum ou de Karl Marx
Il est facile d’augmenter artificiellement le nombre de signataires. Le test réalisé en mars 2016 sur la pétition demandant le retrait de la loi El-Khomri, sur Change.org, le montre bien. À l’époque, des journalistes de France 2 ont pu la signer à vingt reprises en donnant de fausses adresses mails et des noms d’emprunt, qui se révélaient être des personnalités – aujourd’hui disparues – de la Gauche comme Léon Blum, Jean Jaurès ou Karl Marx. La rédaction ayant révélé le subterfuge aux responsables de Change.org, ceux-ci ont supprimé les faux pétitionnaires. Mais la démonstration reste troublante, s’agissant de la plate-forme la plus visible en France.
Pour une plate-forme, le minimum, en terme de fiabilité des signatures, consiste à demander à ce que l’internaute renseigne son nom, prénom, lieu (ville, pays) et une adresse mail. Elle peut aussi conditionner la signature à une validation de l’intéressé par un mail de confirmation envoyé sur l’adresse renseignée, ce qui élimine les fausses adresses – mais n’évite pas qu’une seule personne signe plusieurs fois à partir de multiples adresses mail…
Certaines plates-formes proposent à l’internaute de signer via la connexion à un de ses comptes sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter ou LinkedIn), ces réseaux disposant eux-mêmes de procédures robustes pour s’assurer de la véracité d’un profil, par exemple en utilisant la validation via un numéro de téléphone.
Des robots en guise de signataires
À l’inverse, les plate-formes qui acceptent les signatures via Tor, un navigateur Web préservant l’anonymat de ses utilisateurs, doivent être considérées avec prudence.
L’absence de filtre anti-robot, le captcha, un test effectué par l’utilisateur pour s’assurer qu’une signature n’est pas générée par un logiciel, est également un signe de vulnérabilité de la plate-forme aux techniques de manipulation. Il est alors possible d’augmenter le nombre de signataires via des robots programmables, respectant une fréquentation élevée en journée et faible la nuit pour mimer les actions des humains. Une programmation plus sophistiquée peut même tenir compte des heures de travail et des pauses-déjeuners, des jours ouvrables ou des périodes de vacances…
Les pétitions hébergées sur des plates-formes ne suivant pas les règles d’authentification des signatures les plus exigeantes sont à regarder avec davantage de circonspection.
Il y a viralité et… viralité
Le nombre de signataires ou de partages d’une pétition sur les réseaux sociaux ne peut être, en aucun cas, le seul critère pour évaluer sa valeur. Il faut s’assurer qu’une pétition ayant recueilli plusieurs milliers de signatures en un court laps de temps a bien laissé des traces repérables sur Facebook ou LinkedIn. Certes, elle a pu être partagée aussi sous des formes invisibles, par mails ou sur des forums non publics. Mais une présence rare sur l’Internet public doit alerter.
Par ailleurs, il y a viralité et… viralité. Sur Twitter, la pétition peut être reprise par un grand nombre de comptes sans que cela soit significatif, s’ils n’ont que quelques followers. Ces comptes peuvent aussi avoir beaucoup de followers mais que ceux-ci se révèlent être des «bots», des agents logiciels semi-automatiques programmés pour retweeter des messages avec des mots-clés précis, comme ceux présents dans le titre de la pétition.
Autant de choses à prendre en compte pour le citoyen éclairé, alors que les derniers jours précédant le premier tour de l’élection présidentielle sont, en général, propices à toutes les manipulations.
Augustin Roch, Enseignant en stratégie, École de guerre économique
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.