Les médias russes ont déformé de manière manipulatrice les propos du ministre ukrainien des Affaires étrangères. L’Union européenne, les États-Unis et de nombreux autres pays soutiennent la nécessité d’engager des poursuites contre la Russie, et un certain nombre d’organisations internationales soutiennent également l’idée d’un tribunal spécial. Ainsi, la discussion ne porte pas sur la nécessité des poursuites, que tout le monde –reconnaît, mais uniquement sur le format qu’elles doivent prendre.
Un certain nombre de médias pro-Kremlin ont diffusé des « informations » selon lesquelles l’Union européenne refuserait « de créer un tribunal spécial pour juger l’opération spéciale de l’armée russe en Ukraine ».
« Il n’y aura pas de nouvelle La Haye », « La Cour pénale internationale (CPI) ne veut pas reconnaître l’opération militaire spéciale de Russie comme une agression » – ces conclusions ont été faites par le site « Russkaya Vesna » à partir d’une interview du Ministre ukrainien des Affaires étrangères Dmytro Kuleba.
Dans son style habituel, la propagande russe a déformé l’essentiel des propos du Ministre dans une interview accordée à l’agence de presse « Ukrinform ».
Ainsi, à la question « Est-il réaliste, compte tenu de l’état d’esprit actuel de nos partenaires en Europe, de mettre en œuvre l’idée d’un tribunal spécial contre les dirigeants russes pour les crimes de guerre en Ukraine ? », Dmytro Kuleba a déclaré que c’était un sujet complexe car il s’agit d’une décision juridique qui constaterait que Vladimir Poutine est un criminel et qu’il est responsable des ordres ayant entraîné la mort de dizaines de milliers de personnes.
« Je ne le cache pas, nos partenaires ont un peu peur pour diverses raisons, dont des raisons politiques également, car depuis 1945, il n’y a eu que deux cas de ce type: Nuremberg et la tentative de procès de Milosevic, où un dirigeant européen a été jugé pour crime de guerre. La pratique consistant à juger le dirigeant d’un autre État est, disons, très fragile. Deuxièmement, il y a le fan club de la Cour pénale internationale (dont nous faisons également partie). Son statut stipule que l’un des crimes qu’elle peut juger est l’agression. Mais en pratique, pour des raisons purement juridiques, elle ne peut pas appliquer cet article spécifiquement au cas de l’Ukraine et de la Russie. Nos partenaires disent : « Il n’y a pas besoin de créer un tribunal spécial car nous avons déjà la CPI, vous ne pouvez pas créer une alternative à celle-ci ». Nous disons: « Attendez, qu’est-ce qui est le plus important : les intérêts de la CPI, qui ne veut pas d’alternatives provisoires à elle-même, ou la justice, pour laquelle la CPI existe ? C’est là qu’ils s’embrouillent, car ils sont à la fois pour la justice et pour la CPI. Bref, il existe un problème d’égoïsme institutionnel tant sur la question de la CPI que sur celle de la création d’un tribunal spécial. Mais nous y travaillons, et je pense que nous réussirons« , a expliqué le Ministre.
Il ne s’agit donc pas de refuser de reconnaître la guerre de la Russie en Ukraine comme une agression, ni de refuser d’enquêter et de poursuivre les responsables de la guerre et des crimes de guerre commis contre les Ukrainiens, mais du format dans lequel un tel procès se déroulera et des subtilités juridiques de la question.
Il est important de noter qu’à la mi-juillet, l’Union européenne, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon et un certain nombre d’autres pays ont soutenu la décision de l’Ukraine d’entamer des poursuites contre la Russie devant la Cour internationale de justice.
« Nous réaffirmons notre soutien à la demande de l’Ukraine d’engager des poursuites judiciaires contre la Fédération de Russie devant la Cour internationale de justice en vertu de la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, demande qui vise à établir que la Russie n’a pas de motifs légitimes pour mener une action militaire en Ukraine et l’a engagée sur la base d’allégations infondées de génocide. Nous réitérons l’importance de ces débats juridiques et appelons à nouveau la Russie à suspendre immédiatement ses opérations militaires en Ukraine, comme il est défini par le tribunal dans son ordonnance du 16 mars 2022 sur les mesures provisoires« , indique le communiqué.
L’idée d’un tribunal spécial a également été soutenue par différentes instances internationales telles que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (dans deux résolutions des 27 et 28 avril), le Parlement européen (résolution « La lutte contre l’impunité des crimes de guerre en Ukraine » du 19 mai), l’Assemblée parlementaire de l’OTAN (déclaration adoptée le 30 mai) et le Parlement de l’OSCE (résolution du 6 juillet).
Cette idée est discutée depuis des mois. Les experts notent que la mise en place d’un tribunal international spécial à partir de zéro n’est pas un processus rapide. Dans une interview accordée à « ZMINA« , Anton Korinevich, ambassadeur itinérant du Ministère ukrainien des Affaires étrangères et coordinateur de ce département, a déclaré que plusieurs modèles de tribunal spécial étaient envisagés:
– un traité international multilatéral ;
– un tribunal hybride par accord avec l’ONU ;
– un tribunal hybride par accord avec une organisation régionale (l’UE, le Conseil de l’Europe).
M. Korinevych a également expliqué dans une interview accordée au média « Gazeta.ua » qu’il n’existe pas aujourd’hui de cour ou de tribunal international capable de juger le crime d’agression dont découlent d’autres crimes tels que le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Les seuls criminels jugés pour le crime d’agression l’ont été par les tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo, et il n’y a pas eu de tels tribunaux depuis.
« Nous connaissons la plus grande guerre en Europe depuis 1945 et la réponse juridique appropriée serait de mettre en place un tribunal spécial qui pourrait juger les responsables russes pour avoir commis, planifié et mené une guerre d’agression contre l’Ukraine ». Ce tribunal ne serait en contradiction avec aucune institution car il n’y a pas d’autre tribunal international qui s’occupe du crime d’agression. En outre, il pourrait agir beaucoup plus rapidement que les autres cours et tribunaux internationaux« , a noté Anton Korinevych.