Jean-Éric Branaa, Université Paris II Panthéon-Assas
Les scandales se suivent et ne se ressemblent pas forcément à Washington. Mais ils se suivent, ça c’est certain. La capitale fédérale américaine n’était pas encore remise de la crise qui a secoué le monde politico-médiatique la semaine derrière, après le limogeage du directeur de FBI que Donald Trump remettait le couvert : il est cette fois accusé d’avoir fourni des « informations hautement classifiées » (rien que le nom fait peur !) à l’ennemi de toujours, les Russes.
Les téléspectateurs américains n’en sont pas revenus. Décidément, Donald Trump fait encore plus d’audience en tant que président qu’en producteur télé: alors toutes les chaînes sont reparties en boucle à partir de cette nouvelle incroyable et il a fallu puiser au fond du sac des vocables pour en trouver de nouveaux, encore plus extraordinaires, tant tous les autres sont déjà usés: on est donc passé à «chaos», «spirale infernale», «enfer»… Mais, à dire vrai, tous les commentaires se sont concentrés sur la personnalité de la vedette du jour, en délaissant un peu le fond.
Ordinateurs et tablettes
Le principal reproche adressé au locataire de la Maison-Blanche est que ces informations ne lui ont pas été extorquées par la force ou par la ruse: non, il les aurait données tout seul, alors que personne ne lui demandait rien. Alors qu’il recevait le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, mercredi 10 mai, Donald Trump a expliqué qu’il avait de «très bons renseignements» sur la situation en Syrie.
Et tout tranquillement, il lui a raconté ce qu’il savait de la future opération que préparait Deach et a fourni de nombreux détails, exposant la manière de procéder et révélant que les terroristes allaient utiliser des ordinateurs portables et des tablettes, que les passagers peuvent toujours emporter librement avec eux en cabine. Que ces informations émanent d’un allié des États-Unis qui n’avait pas donné l’autorisation à Washington de les partager avec Moscou ne l’a pas arrêté pour autant.
Une source qui est restée anonyme a communiqué tout cela au Washington Post, qui a aussitôt publié un article: la source a précisé que Donald Trump «a révélé plus d’informations à l’ambassadeur russe que nous n’en avons partagées avec nos propres alliés».
Le contexte de la rencontre entre Donald Trump et Sergueï Lavrov est lui-même ubuesque : elle a eu lieu le lendemain même du limogeage de James Comey, l’ex-patron du FBI, alors que les médias locaux s’interrogeaient déjà sur les liens présumés entre Donald Trump et la Russie depuis plus de huit mois et que ce renvoi brutal déchaînait les passions avec une suspicion d’entrave à la justice dans le but de bloquer justement une enquête sur lesdits liens.
De plus, il est extrêmement rare qu’une telle audience soit accordée par le président des États-Unis à un ministre des Affaires étrangères. Cerise sur le gâteau, le même Lavrov a posté des photos de cette rencontre sur Internet. Des photos qui ont été prises par des photographes russes, alors qu’aucun journaliste accrédité à la Maison-Blanche n’était présent.
Présidence « sans filtre »
Le feu a pris très vite à Washington et le monde politique est encore une fois monté au créneau avec, en première ligne, les démocrates qui se sont inquiétés des conséquences pour la sécurité du pays et quelques républicains, comme Bob Corker, de la Commission des Affaires étrangères du sénat qui a fait connaître sa colère et son désarroi.
Rapidement, toutefois, on s’est surtout inquiété d’une présidence «sans filtre» avec un président très bavard et qui en serait même devenu incontrôlable. Certaines émissions ont titré « le président est-il incompétent ? », et on se rend bien compte que le simple fait de poser la question remet en cause l’autorité du président des États-Unis. Le numéro deux des démocrates au Sénat, Dick Durbin, a dénoncé un comportement «imprudent et dangereux» de la part de Donald Trump, susceptible de «mettre en danger la sécurité nationale».
Le général McMaster, en charge de la sécurité nationale, a pesé du poids de ses cinq étoiles et a promis que tout cela n’était jamais arrivé et qu’il ne s’agissait que de mensonges. Au cri de «mensonges ! mensonges !» et «fake news!», les républicains les plus fidèles ont pu apporter une riposte crédible.
L’atmosphère était devenue irrespirable quand Donald Trump a sifflé la fin de la récré par deux tweets, comme il en a le secret: à la surprise générale, il a tout revendiqué et absolument tout assumé:
« Oui, comme Président j’ai partagé des informations avec la Russie, ce que j’ai absolument le droit de faire, pour des questions touchant au terrorisme et à la sécurité aérienne. C’était nécessaire pour des raisons humanitaires et pour permettre une plus grande coopération avec les Russes dans la lutte contre Daech. »
Avec ce formidable et réellement inattendu «Et alors?», Donald Trump vient de fermer un nouveau chapitre hystérique de sa présidence. Pas tous les jours comme ça, quand même ? On ne va pas tenir…
Jean-Éric Branaa, Maître de conférences politique et société américaines, Université Paris II Panthéon-Assas
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.