Par: Samuel Stolton | EURACTIV.com

Jesper Doub [FLIKR] Illustration: Euractiv
Facebook permettra aux médias «dignes de confiance» de générer des revenus supplémentaires sur son site, suite aux accusations de l’UE d’ingérence russe dans la campagne électorale européenne du mois dernier.

L’annonce faite par Facebook survient alors que la Commission européenne a révélé vendredi 14 juin que des groupes russes de désinformation avaient ciblé les élections européennes de mai, avec une série de campagnes de fausses informations.

« Nous voulons essayer de créer un endroit sur Facebook où les informations peuvent réellement vivre et se refléter, à partir de sources dignes de confiance seulement », a déclaré Jesper Doub, directeur des partenariats médias chez Facebook.

Ces sources d’information seront « vérifiées » et « obligées de respecter les normes journalistiques », a-t-il déclaré lors du Sommet du Global Editors Network (GEN) qui s’est tenu à Athènes jeudi 13 mai.

Jesper Doub a également évoqué les entretiens entre le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, et Mathias Döpfner, PDG du plus grand groupe de presse européen Axel Springer, lors desquels les deux hommes ont tenté de concilier les divergences antérieures liées à la durabilité du secteur des médias.

Axel Springer a fait partie des grands lobbyistes en faveur de la directive européenne sur le droit d’auteur, adoptée en avril. Facebook, quant à lui, s’opposait à ce projet, qui visait essentiellement à garantir que les créateurs de contenu, y compris ceux du secteur de l’information, soient rémunérés équitablement en ligne.

Faisant référence à la manière de Facebook de présenter l’information sur sa plateforme, Jesper Doub a déclaré que les utilisateurs ne voyaient que des informations correspondant à leurs préférences comportementales, qui ne sont pas nécessairement les infos les plus importantes du jour de sources dignes de confiance.

Le projet de Facebook de créer un «espace sûr» pour les informations fiables viserait à contrecarrer diverses accusations souvent portées contre elle, par exemple son incapacité à faire face à la désinformation et aux fausses nouvelles.

Jesper Doub a déclaré le 13 mai que l’entreprise était encore en train de dresser une liste des sources d’information qui seraient acceptées dans le nouveau programme. Il n’a toutefois pas pu révéler ceux qui avaient déjà été exclus du projet et ceux qui y avaient déjà été acceptés.

 «Activités soutenues de désinformation de la part de sources russes»

Entre-temps, la Commission européenne a publié une analyse sur la manière dont son mécanisme de lutte contre les fausses informations, le code de conduite contre la désinformation, a été mis en œuvre par les géants des médias sociaux.

Tout en reconnaissant qu’«il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur le niveau et l’impact de la désinformation» sur les élections européennes, le rapport note que l’un des plus grands succès de cette initiative s’est concrétisé dans la sensibilisation du public aux fake news.

Le rapport souligne en outre que les « preuves recueillies ont révélé une activité de désinformation continue et soutenue de la part de sources russes visant à faire baisser la participation électorale et à influencer les préférences des électeurs ». Il cite les travaux menés par le groupe de travail East StratCom de l’UE, qui a constaté un bond considérable dans les cas de désinformation attribués aux sources russes entre 2018 et 2019.

« Avant les élections, nous avons vu des preuves de comportements coordonnés et non naturels visant à diffuser sur les plateformes en ligne des documents semant la discorde, y compris par l’utilisation de robots et de faux comptes », a déclaré la Commission dans une déclaration.

« Les plateformes en ligne ont donc une responsabilité particulière dans la lutte contre la désinformation. »

De telles lacunes dans la capacité à traiter les fake news ont alimenté les conclusions du Digital News Report 2019 de l’Institut Reuters, officiellement dévoilé lors du sommet GEN de la semaine dernière.

Le rapport de cette année met l’accent sur la relation entre les discours politiques multipolaires et l’émergence de médias politiques diviseurs, ce qui contribue à l’érosion générale de la confiance du public dans l’information.

« La polarisation politique a encouragé le développement d’actions partisanes en ligne, qui, avec les pièges-à-clic et diverses formes de désinformation, contribuent à miner davantage la confiance dans les médias – soulevant de nouvelles questions sur la manière de fournir des reportages équilibrés à l’ère numérique », peut-on lire dans le rapport.

Migration de la désinformation

Néanmoins, une autre conclusion est que les lecteurs se détournent aujourd’hui de Facebook pour recevoir leurs informations et se tournent plutôt vers d’autres plateformes, comme Instagram, YouTube et WhatsApp.

Cela reflète un changement dans la consommation d’informations, ce qui a entraîné une migration de la désinformation vers ces plateformes ainsi qu’une transmutation des infox d’un média textuel vers davantage de matériel vidéo et photographique.

Durant la campagne électorale espagnole par exemple, des milliers de citoyens ont reçu de fausses informations sous de nombreuses formes, allant des rumeurs selon lesquelles le Premier ministre Pedro Sánchez aurait signé un accord pour l’indépendance de la Catalogne aux complots sur les migrants et à la propagande contre les homosexuels.

En outre, avant les élections européennes, de hauts responsables politiques de la coalition allemande au pouvoir de la CDU et du SPD ont accusé de jeunes stars allemandes de YouTube de diffuser de la désinformation pour discréditer leur programme politique.

Le débat a atteint son apogée lorsque la cheffe de la CDU, Annegret Kramp-Karrenbauer, a proposé de réglementer l’expression politique en ligne, à la suite des mauvais résultats de son parti au scrutin européen.

C’est un point de vue partagé par la journaliste d’investigation indienne Rana Ayyub, qui estime que la tendance actuelle de la consommation de l’information permet aux régimes d’exploiter Facebook et Twitter comme outils, servant effectivement à créer des «gouvernements des médias sociaux».

Une telle érosion de l’information factuelle mise à la disposition des lecteurs de nouvelles finira par conduire à un degré important de scepticisme dans le public, a déclaré samedi la journaliste philippino-américaine Maria Ressa, fondatrice de la plateforme d’information en ligne Rappler, qui a prononcé un discours au GEN.

« Sans faits, il n’y a pas de vérité, sans vérité, il n’y a pas de confiance», a déclaré la journaliste philippino-américaine Maria Ressa, fondatrice de la plateforme d’information en ligne Rappler, lors du GEN. Pour elle, lorsque les plateformes de médias sociaux ont pris en charge la diffusion de l’information, elles n’ont pas tenu compte de la responsabilité sociale souvent assumée par les rédacteurs en chef, qui doivent transmettre l’information au public de manière transparente et honnête.

Même si Maria Ressa rejette principalement la faute sur Facebook pour le paysage toxique d’actualités sur les plateformes de médias sociaux, elle continue de croire que les choses vont changer.

Bien que Ressa admette que Facebook devrait porter une part importante du blâme pour le paysage des nouvelles toxiques sur les plateformes de médias sociaux, elle continue à croire que les choses vont changer. «Du moins nous devons les croire sur parole!» estime-t-elle.

Par Samuel Stolton

Source: EURACTIV.com