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Documentaire. Sur Canal+, Lundi 1er février – 22H30
Tomber les masques, révéler au grand jour ce que les médias auraient passé sous silence : le rôle de l’extrême droite dans la révolution de Maïdan et son emprise sur l’Ukraine post-Maïdan. Voilà l’ambition affichée par le film de Paul Moreira, Ukraine, les masques de la révolution, qui part d’un constat ou plutôt, dit-il, d’« une légère sensation de [s’]être fait avoir ». Il va donc lever le voile.
Mais, au lieu de faire tomber les masques, le documentariste chausse des lunettes déformantes. Pravy Sektor, Azov, Svoboda… Moreira fait de ces groupes d’extrême droite les artisans de la révolution, lorsqu’ils n’en étaient que l’un des bras armés. Il les présente comme une force politique majeure, quand leurs scores électoraux sont dérisoires.
Il en fait également les nouveaux maîtres de la rue ukrainienne, qui ne tardent pas à se transformer – sans qu’on comprenne bien pourquoi – en milices lourdement armées. Moreira nous emmène, par exemple, dans « un hangar où l’on fabrique une nouvelle génération de chars ». Il s’agit, en réalité, d’un atelier où l’on retape les rares blindés, vieux et cabossés, que Kiev a fini par offrir sur le tard à différents bataillons de volontaires, après qu’ils ont subi de lourdes pertes au front.
Le documentaire élude aussi toute analyse nuancée du nationalisme ukrainien et de ses ressorts, amalgamant nationalisme, extrême droite et néonazisme. Au sein même des groupes que Moreira étudie, les néonazis constituent une minorité.
Allusions mystérieuses
Il y a surtout une grande absente : l’agression russe contre l’Ukraine. Il faut attendre le milieu du film pour que soit évoquée, en quelques minutes, la guerre dans le Donbass. Celle-ci explique pourtant la radicalisation d’une partie de la population ukrainienne et le fait que Kiev ait dû se résoudre à armer des bataillons de volontaires. L’annexion par la force de la Crimée est, elle, balayée d’une phrase : « Après la révolution ukrainienne, sa population a massivement voté par référendum son allégeance à la Russie. »
A la place, en guise d’analyse géopolitique, des allusions mystérieuses aux petits pains distribués sur Maïdan par la sous-secrétaire d’Etat américaine, Victoria Nuland, ou à la présence à Kiev, à l’occasion d’une conférence organisée depuis de longues années, de responsables de la CIA ou de militaires américains. Le propos se fait elliptique, mais le tableau prend forme. Pour Moreira, si Washington a fermé les yeux sur l’installation d’un nouveau fascisme en Ukraine, c’est au nom de la lutte contre la Russie de Vladimir Poutine, et pour installer au pouvoir « des ministres “pro-business” ».
Dans cet océan de partis pris idéologiques, d’inexactitudes et de distorsions, une séquence sonne à peu près juste : celle consacrée aux événements du 2 mai 2014 à Odessa, au cours desquels 42 manifestants prorusses moururent brûlés vifs en marge d’affrontements avec les pro-ukrainiens. Même s’il surestime le rôle de Pravy Sektor et distribue de façon un peu trop péremptoire les responsabilités dans le drame, le film fait œuvre salutaire en s’étendant longuement sur cet épisode souvent négligé de l’après-Maïdan.
Pour le reste, le rôle de chevalier blanc que s’arroge Paul Moreira, en prétendant dévoiler des vérités passées sous silence, ne tient pas. L’expérimenté documentariste s’est attaqué à un sujet réel. Il a choisi de « regarder par lui-même », nous dit-il. Mais n’a vu que ce qu’il voulait voir, remplaçant les masques par des œillères.
Par Benoît Vitkine
La source: Le Monde