Vladimir Poutine, comme les autres politiciens, n’oublie pas de temps en temps, en déformant les faits historiques, d’infliger à la communauté internationale le mythe de «la grandeur» de la Fédération de Russie, dans les meilleurs traditions de la diplomatie russe. Ainsi, lors de sa conférence de presse à Versailles, Vladimir Poutine a fait écho aux faits historiques pour montrer les racines profondes qui unissent la Russie et la France. «Au XIe siècle, la fille cadette du grand prince russe Iaroslav-le-Sage, la princesse Anne, est venue en France pour devenir épouse du roi Henri 1er. C’est pour cela qu’on l’appelait Anne de Russie, reine de France. Son fils, Philippe 1er, est devenu fondateur de deux dynasties européennes: les Bourbons et les Valois… », a prétendu Poutine.
Cette affirmation de Vladimir Poutine a provoqué beaucoup d’émotions dans le paysage médiatique ukrainien et russe. Chef adjoint de l’administration du Président de l’Ukraine, Dmytro Shymkiv, s’est adressé aux Français sur le réseau social Facebook: «Mes chers amis français! Le président russe Poutine a tenté de vous induire en erreur. En fait, Anne de Kiev, reine de France était de Kiev et non de Moscou. Moscou n’existait pas à l’époque. De plus, payez attention, s’il-vous-plaît, à la communauté ukrainienne qui honore sa mémoire à Senlis, où elle a fondé une abbaye».
Le président de l’Ukraine, Petro Poroshenko, a aussi réagi à la déclaration de Poutine: «Beaucoup de gens tentent d’empêcher l’Ukraine de renouer avec la famille européenne. Je parle précisément d’une réunification, parce que nous en avons fait déjà partie, depuis les temps d’un des grands princes ukrainiens, Iaroslav-le-Sage et sa fille, la princesse Anne de Kiev. Hier encore, Poutine a essayé de la voler devant les yeux de l’Europe et d’attribuer la reine Anne à l’Histoire de la Russie».
Alexey Pushkov, sénateur russe, en réponse à la déclaration ukrainienne a tenté d’impressionner le public par ses connaissances d’Histoire, en affirmant que «l’Ukraine n’existait pas à l’époque de la reine Anne» et en prétendant que «tout le monde l’appelait «Anne de Russie».
En réalité, il s’agit de fausse homonymie. Ce qu’on appelle aujourd’hui la «Terre russe» n’avait pas d’existence étatique à l’époque de Iaroslav-le-Sage. Sa principauté avait une autre appellation: la Rous’, ou la Ruthénie, dont la superficie était le triangle Kiev-Chernigiv-Pereyaslav. A son tour, Moscou a été fondée, seulement en 1147 environ, et la Grande Principauté de Moscou est apparue seulement en 1263, bien après la mort d’Anne de Kiev (qui a eu lieu en 1075).
StopFake a demandé des éclaircissements au chercheur d’Histoire intellectuelle, Yaroslav Zatyliuk, (de l’Institut de l’Histoire ukrainienne). «Anna Iaroslavna aurait dû quand même être surprise de ces déclarations à propos de «russes» ou «ukrainienne», a-t-il dit, parce qu’elle était une des filles du prince de Kiev Iaroslav-le-Sage. Elle est représentante de la lignée des Rurikovich. Cette lignée a des origines scandinaves, c’est un cas d’école». Yaroslav Zatilyliuk a déclaré que «cet amalgame de la Rus’ ancienne avec la Russie contemporaine que Poutine tente d’imposer n’est qu’une manipulation politique. Les racines de la Russie contemporaine se trouvent dans les temps de la principauté Vladimiro-Souzdalsk (c’était au XIIe siècle) qui a ensuite été remplacée par la Moscovie. С’est exactement sous ce nom que les terres de Moscou sont indiqués sur les cartes européennes du XV-XVIIIe siècles. Les sujets des tzars de Moscou étaient nommés «moscovites» ou les «moscovtzi». Après la bataille de Poltava en 1709, Pheophan Prokopovitch, l’un des principaux idéologue de l’Empire de la future Russie, a nommé l’État du tzar Petr 1 comme «Rossia» pour la première fois. Dans le contexte rhétorique, un tel remplacement signifiait que Petr dirigeait également l’héritage des «anciens princes de Kiev». Cette interprétation remonte aux œuvres des auteurs ecclésiastiques de XVII siècle qui cherchaient à instaurer une parenté entre les Romanov de Moscou et l’ancienne dynastie des Rurikovich. C’est donc un captation d’héritage pareille qui permet aujourd’hui à l’élite politique de la Fédération de la Russie de baser ses prétentions sur l’héritage historique de la Rus’ de Kiev ».
Plus d’information sur l’identité d’Anne de Kiev est disponible ici.
Serhii Plokhy, professeur d’Histoire de l’Université Harvard a expliqué dans son étude «The Origins of the Slavic Nations» que les russes tentent de légitimer leur progression territoriale à l’aide de l’idée que Moscou est successeur de la Rus’ de Kiev.
L’affirmation de Poutine au sujet d’Anne de «Russie» a provoqué non seulement «une guerre de correction» sur Wikipedia mais une «bataille» sur Twitter entre les pages officielles de l’Ukraine et de la Russie.
Il faut indiquer que précédemment, les médias russes ont prétendu que c’était le prince «russe» Vladimir qui a christianisé la Russie.
Ainsi, Poutine a tenté de souligner la contribution particulière de la Russie au développement de l’Europe, ainsi que les longues relations entre la Russie et la France comme une certaine continuité historique. La captation d’héritage de Rous’ de Kiev argumente également les prétentions territoriales de la Russie sur l’ensemble de terres ukrainiennes.