Source: La Croix
Depuis quelques années, les fake news, ou fausses nouvelles, pèsent dans le débat public des pays démocratiques.
Emmanuel Macron annonce une loi qui visera à sanctionner la diffusion des fausses nouvelles. Il juge qu’en période électorale ces «bobards» perturbent gravement le jeu démocratique.
Certains juristes et professionnels des médias s’interrogent quant à l’efficacité d’un tel projet.
Emmanuel Macron lance l’offensive contre le phénomène des fake news – «bobards inventés pour salir les hommes politiques et la démocratie», selon les termes du président, qui a promis une nouvelle loi. L’histoire des mensonges, des rumeurs ou des détournements d’information n’a pas commencé avec le développement d’Internet. Mais, depuis la dernière campagne présidentielle américaine, où l’ingérence des milieux russes sur les réseaux sociaux aurait contribué à l’élection de Donald Trump, l’affaire a pris une autre dimension.
Lors des vœux à la presse prononcés le 3 janvier à l’Élysée, le président a ainsi insisté sur le lien entre les démocraties «illibérales», opposées à la liberté de la presse, et les «fausses nouvelles» dont elles financent la propagation. «Entre le complotisme et le populisme, le combat est en effet commun, estime le président.Il est de saper toute confiance dans le jeu démocratique.»
Des fins mercantiles ou politiques
Le terme flou de fake news désigne en fait des opérations de manigance menées sur les réseaux sociaux à des fins mercantiles ou politiques. Exemple: «Les propriétaires devront payer à l’État l’équivalent d’un loyer en 2018.» Ce mensonge relevé récemment sur le site SuperAstuces a pour seul but de générer un maximum de clics et, donc, de revenus publicitaires.
Mais la supercherie peut avoir une bien plus grave conséquence. Facebook a confirmé, en octobre 2017, que 126 millions d’Américains ont vu les «publicités» achetées par une agence de propagande russe durant la campagne pour l’élection présidentielle opposant Donald Trump et Hillary Clinton. «Cette agence a ciblé des”fans” de Donald Trump, explique le blogueur spécialisé Nicolas Vanderbiest. Une fausse information sur Hillary Clinton pouvait alors atteindre des milliers de personnes.»
C’est d’abord contre ce type de fake news que le président français entend mener la lutte. «Emmanuel Macron aurait pu subir la même déstabilisation que Hillary Clinton», rappelle Philippe Aldrin, professeur à Sciences-Po Aix et spécialiste de la rumeur en politique. Le site WikiLeaks avait en effet publié au dernier moment des milliers de documents internes de l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron. «S’ils avaient été publiés un peu plus tôt, la campagne aurait pu être parasitée, estime Philippe Aldrin. Le président veut donner les moyens aux futurs candidats de mieux contrer ces attaques.»
Accroître la transparence des annonceurs
Concrètement, le chef de l’État envisage trois mesures qui s’appliqueraient «en période électorale» – un délai qui peut aller jusqu’à un an. La première concerne les contenus diffusés sur les plateformes Internet – Facebook, Twitter, YouTube… –, et en particulier les «contenus sponsorisés», pour lesquels l’éditeur paie afin qu’ils soient mis en valeur. «Les plateformes se verront imposer des obligations», a indiqué le président, comme celle de «rendre publique l’identité des annonceurs».
«Accroître la transparence, notamment sur les revenus tirés de ces contenus, est une excellente idée, compliquée à appliquer, estime Me Benoît Huet, avocat en droit des médias. Il faut ouvrir une discussion avec ces plateformes pour développer les bonnes pratiques. Des négociations ont lieu au niveau européen.» Une expérimentation est déjà conduite par Facebook pour signaler les contenus référencés comme faux par des sites de vérification de l’information (fact-checking).
Saisir le juge pour faire disparaître la fausse nouvelle
La deuxième mesure, plus large, vise à permettre «de saisir le juge en référé»pour obtenir qu’une fausse nouvelle soit supprimée, que le site soit déréférencé ou bloqué, ou que le compte de l’utilisateur diffusant l’information soit fermé. Une mesure très contestée. D’abord, parce qu’elle menace la liberté d’expression.
«Il faudra peser chaque mot, chaque virgule. Ce texte pourrait être dangereux s’il conduisait à empêcher certains de s’exprimer dans le moment démocratique qu’est la période électorale», prévient Benoît Huet. «Le juge aura-t-il les moyens de dire si telle information est vraie ou fausse et est-ce seulement son rôle?», interroge aussi Katia Dubreuil, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature.
Surtout, plusieurs dispositions existent déjà. La loi sur la presse de 1881 punit le fait de diffuser des «nouvelles fausses» faites «de mauvaise foi», qui menacent la paix publique. Le code électoral punit ceux qui diffusent des fausses nouvelles dans le but de «détourner les suffrages». «La loi comporte déjà tous les outils dans un domaine hypersensible où il faut faire attention à ne pas tout casser», avertit Me Basile Ader, avocat spécialisé en droit des médias.
Une réforme du CSA souhaitée
Enfin, Emmanuel Macron a proposé d’accroître les pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Aujourd’hui limité aux chaînes de télévision et radios, son contrôle s’étendrait aux contenus diffusés sur Internet «par des services de télévision contrôlés ou influencés par des États étrangers». Une allusion à peine masquée à la chaîne Russia Today.
Face à la rapidité des évolutions et à l’ampleur de la menace, les professionnels des médias n’ont pas attendu l’offensive du président pour réagir. «Tout ce qui touche l’information ne peut être confié qu’à un organe d’autorégulation», estime Patrick Eveno, président de l’Observatoire de la déontologie de l’information (ODI) – composé de représentants des médias, de journalistes et du public, conçu dans la dynamique des États généraux de la presse de 2008 comme la préfiguration d’un Conseil de déontologie de la presse. Il reconnaît toutefois que le CSA «doit être réformé, car sa composition et ses missions ne correspondent plus aux enjeux».
L’ODI a été consulté par Reporters sans frontières en vue de l’élaboration d’une norme ISO de «certification des organes de presse respectant la déontologie du métier». «Les médias ont déjà mis en place des parades, soit au sein de certains médias, soit collectivement», rappelle Patrick Eveno.
Les collaborations des médias avec les réseaux sociaux critiquées
L’expérience la plus aboutie est celle de CrossCheck lancée pendant la campagne présidentielle par First Draft, un réseau international de vérification de l’information associant médias, réseaux sociaux et experts. Le programme, qui a permis de vérifier une soixantaine d’informations en dix semaines, intéresse de plus en plus de médias et pourrait être pérennisé.
Arnaud Mercier, chercheur en sciences de l’information, critique toutefois cette collaboration avec les réseaux sociaux. Elle permet «à ces plateformes de se dédouaner de leurs responsabilités et d’externaliser les coûts de la vérification auprès des médias». Or, ces derniers sont «dans une forme de dépendance vis-à-vis des géants du Net (Google, Facebook, Amazon…), qui génèrent 50 % de leur audience».
C’est à ce stade que doit intervenir, selon lui, «un rapport de force politique et juridique» avec les réseaux sociaux pour notamment les contraindre à un partage de la valeur ajoutée avec les éditeurs. Le «bon niveau, c’est l’Europe», juge-t-il. L’Union européenne s’est déjà emparée du dossier en lançant un appel aux experts pour plancher sur un plan de lutte contre les fake news.
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Que sont les « fake news » ?
Le terme-valise de fake news désigne des fausses nouvelles qui peuvent prendre en réalité plusieurs aspects. Ce sont des formes de désinformation spécifiques aux réseaux sociaux.
Les fausses informations inventées de toutes pièces. Exemple: «Emmanuel Macron a un compte aux Bahamas», une accusation sans preuve qui a émergé pendant la campagne.
Les faits détournés. Exemple: «Emmanuel Macron se lave les mains après avoir salué des ouvriers.» Cette affirmation qui a circulé a été construite à partir d’images montrant le candidat En marche! s’essuyant les mains après avoir attrapé une anguille!
Les informations présentées selon un certain angle. Exemple, cet article de l’agence russe Sputnik France sur «le mystérieux #MacronLeaks qui déroute les internautes». La publication d’e-mails de l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron (les MacronLeaks) était une réalité. Mais la présentation qu’en a fait l’agence, assurant que, selon «certains internautes» le mouvement En Marche! «inonde Twitter de fausses publications», relève davantage de la fake news que d’un point de vue éditorial.
Par Aude Carasco, Mikael Corre et Flore Thomasset
Source: La Croix