Dans son article dans le NYT, l’auteur ne déclare pas que l’armée ukrainienne subit des pertes importantes et cède des territoires à la Russie. Il rapporte les propos d’un soldat ukrainien, mais il ne dévoile pas son nom, et ne dit pas de quel endroit s’agit-il. Les données des chercheurs internationaux indiquent le contraire : les échecs significatifs de l’armée russe dans le Donbass et de «l’ignorance de l’armée russe des réalités générales du théâtre des combats».
Dans le contexte de la contre-offensive réussie de l’armée ukrainienne en direction de Kharkiv, le Kremlin tente de créer un récit selon lequel ce sont les forces armées ukrainiennes qui subiraient de lourdes pertes et perdraient leurs positions, et non l’armée russe. Ainsi, certaines sources de propagande du Kremlin ont rapporté que cela avait été déjà confirmé par le New York Times, faisant référence à un article de ce quotidien des Etats-Unis.
L’article intitulé «The «Wild Field» Where Putin Sowed the Seeds of War », décrit la vie pendant la guerre dans une des villes du Donbass, Tchasovy Yar. L’auteur de l’article, Jeffrey Gettleman, s’est entretenu avec des habitants, décrit l’histoire et le contexte du début de la guerre dans le Donbass, notant que Poutine « a transformé cette partie de l’Europe de l’Est en un projet personnel, en versant du sang, ce qui conduira à la plus longue guerre, s’étendant sur de nombreuses générations ». D’ailleurs, Gettleman, parlant des événements récents, décrit également l’offensive réussie des forces armées ukrainiennes dans la région de Kharkiv, notant que les Ukrainiens « s’attendent à une lutte beaucoup plus difficile » dans le Donbass. Il écrit que les Russes faisaient des tranchées dans le Donbass depuis près de dix ans, qu’ils disposent de nombreux postes de réserve et de tranchées fortifiées, de dizaines de milliers de soldats, de mercenaires du PMC Wagner et de renforts aériens du fait de la proximité de la frontière russe. Ensuite, Gettleman fournit un seul commentaire anonyme d’un soldat ukrainien dans son reportage:
«Nos murs tremblent tous les jours à cause des bombardements », atteste un soldat ukrainien en première ligne, dont l’identité ne peut être dévoilée en raison de sa situation délicate. Il a déclaré que l’armée ukrainienne subissait des pertes importantes dans le Donbass et que « les Russes nous prennent d’assaut tous les jours et s’emparent de quelques mètres de notre territoire par jour».
En se servant de cette citation anonyme d’un reportage sur la guerre dans le Donbass, l’agitprop russe a diffusé l’« information » selon laquelle les forces armées ukrainiennes subiraient de lourdes pertes, en termes des soldats comme de territoire. Certains sites sont même allés plus loin en disant que «les forces armées ukrainiennes subissaient une grave défaite dans le Donbass, cédant du territoire aux forces armées russes et perdant également leur moral».
Les données des chercheurs internationaux indiquent le contraire: les échecs de l’armée russe dans le Donbass et «l’ignorance de l’armée russe des réalités générales du théâtre militaire».
Dans son récent rapport, l’Institut américain pour l’étude de la guerre (ISW) a rapporté que «les forces russes continuaient à mener des opérations offensives inutiles autour de Donetsk et de Bakhmut, au lieu de se concentrer sur la défense contre les contre-offensives ukrainiennes qui continuent d’avancer».
L’ISW ne confirme pas non plus l’information selon laquelle les forces armées ukrainiennes « cèdent des territoires à l’armée russe ». «Les forces ukrainiennes ont libéré un village au sud-ouest de Lyman et devraient continuer à améliorer leurs positions dans la région», indique l’Institut dans son résumé du 17 septembre.
Dans son analyse militaire du 16 septembre, le projet Conflict Intelligence Team note que les forces russes quittent complètement la région de Kharkiv, que les forces armées ukrainiennes ont récupéré beaucoup d’armes purement et simplement abandonnées par les Russes, et que le retrait du personnel militaire de la « République populaire de Donetsk » est même plus important qu’en 2014.
Le 17 septembre, les services de renseignement britanniques ont rapporté que la Russie allait obstinément défendre la frontière de la région de Louhansk et une partie du Donbass, et que toute perte de territoire cette région condamnerait définitivement la stratégie russe.
«La Russie essaiera probablement de défendre la zone, mais on n’est pas sûr que les Russes disposent de réserves suffisantes ou d’un moral des troupes assez bon pour faire face à une autre offensive ukrainienne», a déclaré le ministère britannique de la Défense.
Par ailleurs, le projet ukrainien DeepStateMap ne confirme aucune avancée significative de l’armée russe dans le Donbass. Selon les données du 18 septembre, seule l’avancée des Russes vers le village de Nevelske dans la direction d’Avdiivka est signalée, tandis que le 11 septembre, les forces armées ukrainiennes ont libéré Svyatogorsk et qu’il y a actuellement des combats près de Lyman.
Les experts militaires parlent sur Radio Svoboda (Radio Liberté en russe) du manque d’opportunités pour une offensive de l’armée russe. Ainsi, l’observateur militaro-économique du groupe de résistance de l’information, Alexandre Kovalenko, estime que les troupes russes n’auront pas assez de forces pour une offensive sur toute la ligne de front, mais les Ukrainiens doivent être préparés à des retraites tactiques. Selon Kovalenko, les troupes russes agissent maintenant avec plus de prudence car elles manquent de ressources, et le succès conditionnel sera un phénomène d’inertie qui sera nivelé avec le temps.
Michael Kofman, analyste militaire au Center for Naval Analyses américain, indique dans un article publié par le Washington Post que la chute rapide du front russe dans la région de Kharkiv reflète l’éventail des problèmes de main-d’œuvre et de baisse de moral dans une armée russe dépassée.
«L’approche militaire russe est fondamentalement non tenable. Les forces russes sont confrontées à l’épuisement, aux problèmes d’approvisionnement et à une dégradation rapide de l’efficacité au combat», a déclaré Kofman.