Par Alla Lazareva,
Source: Tyzhden.ua
Comment les régimes autoritaires utilisent le coronavirus comme une arme dans la guerre de l’information.
«Une campagne de désinformation sur le Covid-19 monte en puissance et sa source est soit en Russie, soit peut être imputée à des entités identifiées comme pro-Kremlin», a déclaré Josep Borell Fontelles, Vice-président de la Commission européenne, Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. De cette manière le politicien espagnol a commenté le rapport du Service Européen pour l’action extérieure (SEAE), publié le 18 mars.
Selon ce document, RT Espagne, une chaîne de télévision du Kremlin en langue espagnole qui fait partie du réseau RT-TV, est au 12e rangdans le palmarès des diffuseurs de fakes sur le coronavirus. Cela constitue 7 % de toutes les fausses nouvelles dans l’espace hispanophone. Selon les conclusions de ce rapport, ces fakes ont été partagé près de 7 millions de fois entre le 1er janvier et le 12 mars. «Les medias pro-Kremlin ne semblent pas être à l’origine de la désinformation elle-même. Ils ne font qu’amplifier des théories qui ont leur origine ailleurs, par exemple en Chine, en Iran ou au sein de l’extrême droite américaine. Cette tactique leur permet d’éviter toute accusation de créer eux- mêmes la désinformation, en prétendant au contraire qu’ils ne font que rapporter ce que d’autres disent».
Les fabricants de fakes de nombreux pays de l’Europe occidentale utilisent à présent la propagation fulgurante du coronavirus pour renforcer la panique, intensifier le chaos, aggraver ainsi la crise sanitaire et saper la crédibilité des systèmes de santé publique des pays occidentaux. Les Etats-Unis ont détecté des milliers de comptes dans les réseaux sociaux Facebook, Twitter, Instagram, directement ou indirectement liés à la Russie. A partir de mi-janvier, les campagnes virales qui diffusaient des fakes ont été identifié en Lettonie et en Arménie, en France et en Belgique. Leurs sources d’origine sont souvent soit des sites marginaux au contenu douteux qui existent depuis peu de temps, soit Sputnik et RT.
L’espace francophone fait aussi l’objet d’attaques virales similaires et assez virulentes. Récemment la société spécialisée dans la modération de sites Netino a publié un rapport sur les commentaires et les partages focalisés sur l’épidémie de Covid-19. Il montre qu’entre le 13 et le 19 mars, les trois quarts de tous les commentaires sur le coronavirus ont tenté de minimiser le danger et ont lancé des appels à ne pas respecter le confinement. Selon cette enquête, 3,6% des messages des réseaux sociaux en français relèvent du complotisme en tout genres ou des fakes news.
Comment les complotistes s’efforcent-ils de faire peur aux Français? Il y a quelques jours, une vidéo enregistrée par un homme qui s’est présenté sous le nom d’«Antoine» était diffusée de façon virale. Il y était question de l’épidémie de coronavirus. L’auteur de l’enregistrement expliquait que le Covid-19 aurait été créée par les Français et l’Institut Pasteur. L’institut a déjà porté plainte et a démenti ce fake. Il est possible de trouver ce démenti sur la chaîne Youtube et le compte Twitter de #InstantDétox. Il s’est avéré que «Antoine» se sert d’un document tout à fait authentique. Mais il se rapporte à la découverte d’un vaccin, pour combattre une autre souche de coronavirus qui remonte au début des années 2000. Julien Pain, le rédacteur en chef de la chaîne #InstantDétox invite largement les journalistes professionnels, qui en raison du confinement, ne peuvent pas exercer leur responsabilité professionnelle, à participer avec lui au fact-cheking au sujet du coronavirus pour démentir ensemble les fausses informations qui circulent surtout sur Internet.
Cette initiative a reçu un certain appui. Des journalistes français démasquent ainsi de pseudo infirmières qui terrorisent les gens avec des informations sur le fin du monde dans les hôpitaux, où les salariés n’auraient pas le droit «de rentrer chez eux, même pour changer de vêtements ou prendre une douche», et tant d’autres fausses nouvelles. Il est vrai, que la situation dans les hôpitaux en France n’est pas facile; que quelques patients en état grave sont transférés pour se soigner en Allemagne et en Suisse; il manque de tests et de masques. Cependant, la France prend des mesures, achète de l’équipement médical, augmente la capacité des unités de soins intensifs. Il existe de nombreuses raisons de s’inquiéter, mais il n’y guère matière à semer la panique, qui n’est jamais un remède, mais que les propagandistes comme RT ou Sputnik tentent de renforcer. Les deux chaînes de la propagande russe, via leur pages francophones, diffusent des sujets et des textes sur la «conspiration des pharmaciens», le «danger exagéré de virus», poussant ainsi les Français à la désobéissance et à la méfiance envers les autorités.
Selon l’Observatoire du conspirationnisme Conspiracy Watch, un réseau de trolls russes a été démantelé au Ghana et au Nigeria. Un enquête publié le 20 mars, explique que les fausses pages faisant partie de ce réseau de désinformation, étaient tout d’abord utilisées pour approfondir le conflit interne entre les américains, en perspective de la présidentielle proche. «C’est la première fois que l’on découvre une opération de désinformation russe opérant depuis l’Afrique et visant les Etats-Unis», lit-on dans Conspiracy Watch. Dans les derniers jours de janvier, ces faux comptes sur les réseaux sociaux utilisent le sujet du virus pour augmenter leur audience et attirer des sympathisants.
CNN, en collaboration avec Facebook, Instagram et Twitter, ont contribué à désamorcer ce réseau « africain » de désinformation. Suite à cette seule opération, Twitter a supprimé 68000 pages. Ces comptes, en majorité, existaient depuis 2016. Ils publiaient sur les questions des droits des LGBTQ, les relations Afro-Américains, sur les célébrités, la mode… «Bien que les commanditaires de cette action aient tenté de dissimuler leur but et leur coordination, l’enquête de CNN a révélé leurs liens avec l’EBLA [Eliminating Barriers for the Liberation of Africa, une ONG ghanéenne financée de manière occulte par la Russie – ndlr], et avec des individus associés à l’Internet Research Agency (IRA).»
Les propagandistes utilisent le coronavirus, qui intéresse des millions de personnes dans le monde comme un appât pour les consommateurs d’informations candides et inexpérimentés. «Ne permettez pas de vous faire des vaccins contre le coronavirus!» conseillent-ils, bien que, en se basant sur des prévisions optimistes, le vaccin ne sera pas mis au point avant l’été. «On va vous implanter des puces pour vous contrôler à distance!» Ce genre de fakes est propagé largement par la Fédération de Russie, la Chine, ainsi que l’Iran et d’autres régimes autoritaires. La technologie de l’intimidation se distingue peu des méthodes de propagande et d’intoxication du KGB employées dans les années 1980, quand les soviétiques cherchaient à convaincre le monde que le SIDA était « inventé par des américains ».
Pour la Chine et la Russie, la situation sanitaire difficile est devenue une possibilité pour tenter d’étendre leur influence géopolitique en Occident. Ceci est bien montré dans un article «Coronavirus: gagner aussi la bataille géopolitique» du quotidien français Le Monde. Selon ce texte, les deux «puissances étrangères soucieuses de redorer leur blason par l’assistance humanitaire» accordée, en particulier, à l’Italie. Par exemple, l’arrivée d’un avion affrété par la Croix-Rouge chinoise, a été abondamment couverte par les médias chinois. Cette arrivée a été presentée comme une victoire personnelle par le ministre des affaires étrangères italien, Luigi Di Maio, du Mouvement 5 étoiles. N’oublions pas que l’Italie avait été le premier pays du G7, en 2019, à signer avec Pekin un mémorandum sur les «nouvelles routes de la soie». Les neuf avions Iliouchine qui sont venus à Rome «sur ordre personnel de Poutine» aident à créer, également, une image positive du président et du régime russe. Le Premier ministre italien Luigi Di Maio remercie sans cesse ses «vrai amis» russes et chinois. Ce message promeut aussi l’idée que les véritables amis de l’Italie ne sont pas ses alliés naturels de l’UE, mais Moscou et Pékin. « Ces gestes de solidarité sont évidemment les bienvenus, et l’on préfère voir les avions russes acheminer de l’équipement médical plutôt que bombarder des hôpitaux en Syrie. Mais leur exploitation à des fins de propagande rappelle que, en temps de pandémie, la géopolitique, elle, n’est pas confinée», a conclu Le Monde.
Un autre journal français, Le Figaro, analyse la stratégie de communication du Parti communiste chinois face à la pandémie de coronavirus. «Les dirigeants sont obsédés par la pérennité du régime et désireux de faire taire toute critique sur leur gestion de la crise», lit-on dans un article intitulé «La Chine mène une guerre de l’information». L’auteur de l’article, la spécialiste de l’Asie Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique a indiqué que «s’appuyant sur la quasi-disparition de nouveaux cas sur son territoire, la Chine s’est lancée dans une campagne massive destinée à modifier au niveau mondial le récit et la perception de la crise liée à la pandémie de Coronavirus». Le fait est que le premier cas de la maladie remonte au 16 novembre. Mais l’autorité de santé chinoise a décidé de le cacher, ainsi que retirer de la circulation cette information. En même temps, le régime communiste cherche à mettre en doute les origines du virus, qui pourrait avoir été importé à Wuhan, selon eux, par des militaires américains. Les autorités chinois répandent et encouragent les rumeurs sur «des intérêts américains dans la guerre commerciale» ou «des essais d’armes bactériologiques», qui pourrait également être mené par les Etats-Unis.
«Cette campagne se joue sur le front de la guerre de l’information, une autre guerre, fondée sur le contrôle de l’opinion publique», lit-on dans Le Figaro. L’objectif de Pékin, comme de Moscou, en se servant du coronavirus, est de montrer que le système autoritaire est plus efficace que la démocratie. «Le contrôle de l’information devient une priorité après un assouplissement initial destiné à laisser une soupape de sécurité à une population confrontée à une crise humanitaire majeure. Déjà sévère en Chine, ce contrôle s’est renforcé, dans la ligne de ce qui a été mis en place par Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir en 2012», estime Le Figaro.
La guerre hybride, qui se poursuit pendant l’épidémie de coronavirus oblige chacun à se conformer aux règles d’hygiène de l’information. N’oublions pas que les faiseurs de fake mélangent toujours la vérité et les mensonges, en espérant que les gens feront confiance nont à l’information crédible, mais surtout à l’information reconnaissable. Il est nécessaire de vérifier les informations auprès de plusieurs sources fiables et professionnelles. Une deuxième chose importante: les attaques informationnelles frappent toujours au niveau des émotions, tentent de choquer, de mettre en colère ou de provoquer. Si le message affecte considérablement l’état émotionnel, c’est un prétexte immédiat de le vérifier avant de partager. Gardons toujours àl’esprit que l’un des importants défis d’une pandémie de coronavirus, c’est ne pas devenir un idiot utile du Kremlin, du Parti communiste chinois ou d’autres régimes autoritaires.
Par Alla Lazareva,
Source: Tyzhden.ua