La réalité: Il est plus que probable que l’incendie de l’ermitage de la Laure de Sviatohirsk résulte d’un tir d’artillerie de l’armée russe sur les positions de l’armée ukrainienne situées dans ce secteur. La déclaration du Ministère de la défense de la Fédération de Russie selon laquelle les militaires ukrainiens auraient délibérément incendié l’église au moment où ils se retiraient, ne correspond pas à la réalité. À l’heure actuelle, ce territoire est sous contrôle de l’armée ukrainienne, ce qui était aussi le cas le 4 juin quand les propagandistes ont répandu pour la première fois cette information sur « l’incendie criminel ». Ça l’était encore le 7 juin quand les Russes ont déclaré qu’ils avaient «libéré» la Laure et y menaient des «enquêtes».
La 4 juin, les médias russes ont répandu, lien du Ministère de la défense de la Fédération de Russie à l’appui, l’information selon laquelle les militaires ukrainiens auraient, pendant leur retraite, « volontairement incendié » l’ermitage de Tous les Saints de la Terre de la Sainte-Dormition Russe de la Laure de Sviatohirsk. Ils l’auraient fait soi-disant à l’aide de munitions explosives d’une mitrailleuse de gros calibre. Les médias russes écrivent: « Après avoir accompli leur crime, les néonazis se sont enfuis à grande vitesse ».
Le chef de l’administration militaire régionale (AMR) de Donetsk Pavlo Kirilenko a démenti les déclarations du Ministère russe de la défense. Dans son groupe Telegram officiel, il écrit que l’ermitage de la Laure de Sviatohirsk a brûlé suite à l’action des forces armées russes.
Le chef de l’AMR de Donetsk rappelle qu’il y a eu dans la région d’autres destructions de sites culturels par l’armée russe: « Rien que dans la ville-même de Sviatohirsk, qui réunit trois monuments d’architecture et de culture, les Russes ont endommagé le musée d’histoire et d’architecture, détruit le temple, deux ermitages et deux bâtiments des cellules de la Laure de Sviatohirsk, tuant quatre moines ; en tout, dans la région, les Russes ont déjà détruit ou endommagé au moins 43 édifices religieux, et l’écrasante majorité d’entre eux appartenait au patriarcat de Moscou. »
Les militaires ukrainiens qui assurent la défense de Severodonetsk déclarent eux aussi que les soldats russes sont responsables de l’incendie du temple. Yury Kotchevenko, officier du 95ème bataillon d’assaut parachutiste, a publié sur son compte Facebook la photo du temple incendié. Dans la publication il est écrit : « En ce moment, l’ermitage en bois de Tous les Saints de la Laure de Sviatohirsk du patriarcat de Moscou est en feu. Un autre crime barbare des Russes pour qui rien n’est sacré. » Sur la photo, on voit que le temple se situe à plusieurs centaines de mètres du photographe, ce qui rend douteux la déclaration du Ministère de la défense de la Fédération de Russie selon laquelle les soldats ukrainiens auraient soi-disant fui les lieux à toutes enjambées aussitôt après « l’incendie volontaire ».
L’Église Orthodoxe Ukrainienne du patriarcat de Moscou a décidé de ne pas nommer les coupables de l’incident. Le département d’information et d’éducation de l’Église Orthodoxe Ukrainienne a publié une vidéo de l’ermitage en feu et a signalé qu’ « un incendie à grande échelle s’est déclaré sur le territoire de la Laure à la suite de combats » – « l’ermitage de Tous les Saints de la Laure de Sviatohirsk a été enseveli sous les bombes. »
Le service de presse du Président de l’Ukraine Volodymyr Zelensky a déclaré que l’incendie de l’ermitage de Tous les Saints s’est produit suite à un tir d’artillerie russe. Il a également signalé que le 31 mai, la Verkhovna Rada, le parlement ukrainien, a exigé auprès de l’UNESCO que la Russie soit exclue de l’organisation. «La diplomatie ukrainienne travaille sur le sujet. Il n’y a pas un seul Etat, excepté la Russie, qui ait détruit en Europe autant de monuments, de sites culturels et sociaux depuis la Seconde Guerre mondiale. Chaque église que la Russie incendie en Ukraine montre qu’elle n’a pas sa place à l’UNESCO», dit le communiqué.
Dans ces vidéos et photographies de l’incendie, on voit bien que c’est la partie supérieure du bâtiment qui brûle, donc que l’incendie ne peut résulter que d’un tir d’artillerie.
Le 7 juin, cette histoire a connu une suite après que le maire-collabo de Sviatohirsk, passé du côté de la Russie, Volodymyr Bandoura, a indiqué lors d’une interview à Pervy Kanal (la première chaine de télévision russe) que l’ermitage de la Laure de Siatohirsk aurait bien été brûlée par les militaires ukrainiens, et que les déclarations des autorités ukrainiennes, indiquant le tir de l’artillerie russe comme responsable de l’incendie, sont mensongères.
Dans son reportage, Pervy Kanal affirme depuis le 7 juin que les Russes ont pu mener une « enquête complète » après que la Laure de Sviatohirsk est passée sous le contrôle de la prétendue République Populaire de Donetsk (RPD). Les soldats ont soi-disant interrogé les habitants ainsi que le « maire » de la ville, et ceux-ci ont confirmé que l’ermitage a été incendié par l’armée ukrainienne. « Le 4 juin, avant que la ville ne soit libérée, on a vu apparaître dans les groupes Telegram les images de l’ermitage de Tous les Saints en proie aux flammes », affirme la voix-off. Cependant, il s’agit d’un nouveau mensonge de la Russie, nous allons expliquer pourquoi.
La Laure de la Sainte-Dormition de Sviatohirsk se trouve, par rapport à la ville, sur la rive opposée de la rivière Seversky Donets, proche du village de Tatianovka. Ce territoire est contrôlé par l’armée ukrainienne, tant le 4 juin, quand les propagandistes relataient pour la première fois l’information sur l’ « incendie volontaire » et la retraite de l’armée ukrainienne, que le 7 juin, quand les Russes ont annoncé une nouvelle fois la « libération » de la Laure et leur « enquête ». La déclaration des propagandistes ne correspond pas à la réalité puisque les Russes n’étaient pas présents sur le territoire du monastère. Cela est indirectement confirmé par le reportage de Pervy Kanal lui-même, dans lequel il n’y a pas une seule vidéo de la Laure en question, à part la celle du territoire du monastère filmée par un drone.
Sur la carte interactive des combats éditée par le projet DeepState, qui suit attentivement les évolutions de la ligne de front, on voit que depuis le début des hostilités, les forces armées russes n’ont pas réussi à forcer le fleuve Seversky Donets dans le secteur de Sviatohirsk.
Même les vidéos des propagandistes confirment que le territoire du monastère se trouve sous le contrôle de l’armée ukrainienne. Par exemple, dans son reportage du 8 juin, le pseudo « correspondant de guerre » Semën Pegov du projet WarGonzo montre Sviatohirsk «libérée». En allant jusqu’au pont, il déclare que plus loin se trouvent les positions ukrainiennes. Les analystes du projet Conflict Intelligence Team ont pu géolocaliser la position géographique de Semën Pegov au moment où était filmé cet épisode.
Il est évident que la déclaration du Ministère de la défense de la Fédération de Russie sur le retrait de l’armée ukrainienne de ce territoire est mensongère. Si les soldats ukrainiens ne se sont pas retirés, quelle raison auraient-ils eu d’incendier ou de bombarder le territoire du monastère sous leur contrôle ? Les propagandistes eux-mêmes déclarent que ce territoire est utilisé «comme bastions militants en vue de l’offensive des forces alliées». C’est pour ça qu’il est tout à fait logique que ce soient bien les soldats russes qui aient bombardé le territoire de la Laure, provoquant l’incendie de l’ermitage. D’autant plus que ce n’est pas la première fois que la Laure de Sviatohirsk subit les tirs d’artillerie de l’armée russe. Les médias avaient déjà relaté que depuis le mois dernier, la réserve avait fait plusieurs fois l’objet de tirs d’artillerie russes. Le 9 mai, l’ermitage Saint-Georges de la Laure de Sviatohirsk a été détruit par plusieurs frappes de missiles de l’armée russe. Et le 30 mai, trois personnes ont péri suite à l’attaque des forces russes sur le territoire de la Laure.
De plus, le 7 juin, la propagande du Kremlin a livré un nouveau lot de mensonges. Le représentant officiel du Ministère de la défense de la Fédération de Russie, Igor Konachenkov, a déclaré que le Président Volodymyr Zelensky aurait menti en disant que la Russie participait à la destruction du patrimoine culturel de l’Ukraine. Konachenkov a annoncé qu’ils avaient certains témoins affirmant que c’était bien des « nationalistes ukrainiens » qui avaient incendié l’ermitage de Tous les Saints de la Terre Russe. « L’armée ukrainienne et les nazis savent bien que les soldats russes ne tirent pas sur les édifices religieux et les monuments culturels, et ils en profitent pour y positionner leur artillerie », déclare Konachenkov.
Toutefois, ce n’est pas vrai. Depuis le 1er mai, plus de 250 institutions culturelles ont été détruites en Ukraine: bibliothèques, musées, bâtiments culturels, églises et autres. Le Ministère ukrainien de la culture et de la politique de l’information a annoncé que certaines de ces institutions ont été complètement détruites, d’autres partiellement, une partie d’entre elles pillées. L’UNESCO a confirmé que depuis les cent premiers jours de guerre avec la Russie, 139 sites culturels ukrainiens ont été endommagés, dont 62 sites religieux.
De même, afin de réduire le montant des dommages, les médias russes ont déclaré que l’ermitage incendié de Tous les Saints n’était « pas une grosse perte » parce qu’il s’agit d’une construction récente. En effet, cette église a été construite en 2009, sur les fondations d’une ancienne église détruite par les Soviétiques en 1947. L’ermitage de Tous les Saints avait été fondé en 1912.