Après la publication d’images attestant du massacre de civils à Boutcha, dans la région de Kyiv, le ministère de La Défense de la Fédération de Russie, les médias du Kremlin, ainsi que des internautes soutenant les actions militaires russes, ont diffusé activement des démentis assurant que ces massacres n’étaient qu’une provocation et une mise en scène des services spéciaux ukrainiens.
En particulier, ils ont affirmé que la vidéo de Boutcha, qui montre de nombreux cadavres gisant dans les rues de la ville, était une mise en scène et que les morts seraient des figurants. Certains internautes affirment que les civils pourraient être victimes de règlements de comptes opérés par la défense territoriale locale et certains prétendent même à tort que la ville était sous le contrôle ukrainien et que les soldats russes n’auraient pas pu commettre ces crimes.
Le ministère russe de la Défense affirme que les images de Boutcha sont «une nouvelle production du régime de Kiev pour les médias occidentaux». Le ministère de La Défense de la Fédération de Russie a réfuté l‘accusation de l’Ukraine et démenti toute responsabilité pour le massacre à Boutcha.
Alexandre Kots, un propagandiste bien connu travaillant pour le journal « Komsomolskaïa Pravda », a déclaré que les services spéciaux ukrainiens travaillent dans « le style des casques blancs », qui auraient mis en scènes des vidéos en Syrie.
Rappelons que ce n’est pas la première fois que Kots accuse les autorités ukrainiennes de manipulation. Auparavant, le propagandiste avait diffusé une fausse information selon laquelle des représentants des casques blancs étaient arrivés en Ukraine pour préparer une fausse attaque chimique.
Un autre propagandiste bien connu, Yegor Kholmogorov, affirme que Kiev a inventé le « massacre à Boutcha » afin d’obtenir de l’Occident des armes lourdes. « Après Boutcha, l’Occident nous donnera certainement des armes lourdes, et peut-être même de l’aviation. Alors que jusqu’ici, les responsables occidentaux résistaient et ne voulaient pas nous les donner,» dit Kholmogorov sur une chaîne anonyme «Легитимный» (« le Légitime ») de Télégramme.
Les propagandistes du Kremlin ont accordé une attention particulière à la vidéo de la ville libérée de Boutcha, qui auparavant a été rendue publique par l’avocat Ilya Novikov. Ces propagandistes affirment que les personnes gisant dans les rues sont des figurants. « La vidéo avec les corps est déroutante: on voit qu’ici, à la 12ème seconde, le «cadavre» de droite bouge sa main. A la 30ème seconde, on voit dans le rétroviseur que le « cadavre » s’assied,» affirme une pseudo-tentative de fact-checking «Guerre contre INFOX», cité par le ministère de La Défense de la Fédération de Russie.
Cependant, ces affirmations ne résistent pas à l’examen. La vidéo visionnée en meilleure qualité, montre clairement que ce que les propagandistes appellent «un mouvement de la main du cadavre » est en réalité une goutte d’eau sur le pare-brise, et le moment où le «corps s’assied» n’est rien d’autre qu’une distorsion dans le rétroviseur.
En plus, des photo-journalistes de Reuters ont également visité la ville libérée de Boutcha. Sur l’une de leurs photos, on peut voir la rue où la vidéo en question a été tournée. La position des corps le long de la rue est identique dans les deux cas (dans la vidéo et sur la photo), ce qui exclut également une « mise en scène ».
Le fait que la population civile a été soumise à la violence de l’armée de la Fédération de Russie ne fait aucun doute. Ceci confirme les nombreux témoignages de résidents locaux de cette région de Kyiv, qui se trouvaient pendant un mois sous le contrôle temporaire des militaires de la Fédération de Russie. En particulier, le maire de Boutcha, Anatoly Fedoruk, a annoncé la découverte d’une fosse commune où 280 civils, résidents de la ville, ont été enterrés. Il a évoqué des dizaines de cadavres gisant dans les rues, certains d’entre eux avec les mains liées dans le dos et des traces de torture.
L’organisation internationale des droits de l’homme Human Rights Watch a commencé à documenter les crimes de guerre commis par l’armée russe sur le territoire ukrainien. L’organisation a déjà enregistré plusieurs cas de violation des lois de la guerre, commis par les militaires de la Fédération de Russie dans les territoires sous contrôle temporaire des régions de Tchernihiv, Kharkiv et Kiev. Le document contient les dépositions de témoins oculaires des crimes de l’armée russe commis pendant la période du 27 février au 14 mars.
Des témoignages évoquant la mort violente de civils ont été également enregistrés par des photos-journalistes de Reuters, l’AFP, Associated Press, qui ont été parmi les premiers à visiter les villes libérées.
Un journaliste de l’AFP a rapporté que 16 des 20 corps qu’il a vus se trouvaient sur le trottoir où près du trottoir. Trois autres victimes gisaient au milieu de la route et une dans la cour d’une maison détruite. À côté de l’un des corps se trouvait son passeport ouvert. Il s’agissait d’un citoyen ukrainien.
Ces données sur des morts civiles sont aussi confirmées par le journaliste ukrainien Dmitry Komarov, qui a publié un reportage fait à Boutcha sur sa chaîne YouTube.
Les propagandistes du Kremlin réfutent l’implication de l’armée russe dans les exécutions de civils dans les villes occupées de la région de Kyiv. Ils attirent l’attention sur le fait que sur les images des territoires libérés, on peut voir les corps de personnes portant des brassards blancs, ce qui est la couleur des brassards utilisés par l’armée russe comme marque d’identification. Le propagandiste Alexandre Kots affirme que ces brassards blancs indiquent que ces habitants sont passés du côté de l’armée russe et auraient été abattues par la défense territoriale locale pour les punir de leur « collaboration » avec les troupes russes.
Cependant, ces affirmations sont réfutées par les témoignages de la population locale qui a survécu à l’occupation et par les données des services de renseignement ukrainiens. Lors d’entretiens avec des résidents locaux, au moins deux agences de presse (Reuters et Suspilne.news) ont rapporté que l’armée de la Fédération de Russie forçait la population civile à porter des brassards blancs.
Auparavant, le régiment Azov avait déjà signalé que l’armée russe forçait les habitants de Marioupol à porter des brassards blancs. Ainsi les soldats russes se cachent derrière des civils.
Le groupe de volontaires Conflict Intelligence Team, qui enquête sur les conflits militaires, a déclaré qu’ils étaient pratiquement certains que les forces armées russes et/ou la garde nationale russe est responsables des meurtres de Boutcha. Les forces du district militaire de l’Est, ainsi que des unités de la 76e division d’assaut aéroportée et de la 98e division aéroportée, pourraient être impliquées dans ces crimes. De plus, dans la région de Kyiv ont été vus des équipements de la garde nationale russe ainsi que des « Kadyrovtsy », soit des combattants Tchétchènes pro-Kadyrov, sur le terrain de l’aérodrome de Gostomel. De plus, l’équipe de Conflict Intelligence Team évoque dans la région de Boutcha la présence du 104e régiment de parachutistes de la 76e division d’assaut aéroportée (mentionnée plus haut).
Et au moins deux soldats du 234e régiment de la même division étaient présents dans la région de Boutcha, où l’un d’eux a été capturé et un autre est mort.
Le ministère russe de la Défense dans son communiqué a déclaré que les photos et les vidéos publiées de Boutcha sont une « provocation » contre la Russie, et que pendant la période au cours de laquelle cette localité a été sous le contrôle des forces armées russes, « pas un seul résident local n’a souffert d’actions violentes ». Selon eux, cela est attesté par le fait que les images n’ont commencé à apparaître que le quatrième jour après la libération de la ville.
Cependant, ce n’est pas vrai. L’armée ukrainienne n’a réussi à regagner le contrôle sur Boutcha, Vorzel et Gostomel que le 2 avril. Le 31 mars, l’administration militaire de Kyiv a signalé que ces localités restaient sous le contrôle des forces armées russes. Des experts indépendants ont commencé à enregistrer des faits constituant des crimes de guerre dans cette zone dès le début du mois de mars, avant même la libération. Vous pouvez visualiser les messages signalant ces faits à l’aide de la carte interactive créée par Bellingcat et Global Authentication Project.
La police nationale ukrainienne a lancé une enquête sur les événements de Boutcha, dont le territoire est considéré comme une scène de crime.