Les accusations portées contre l’OSCE, qui aurait fourni aux forces armées ukrainiennes les coordonnées de cibles militaires via ses caméras vidéo, sont sans fondement. StopFake a étudié les reportages des médias russes, dans lesquels des incohérences évidentes ont été relevées. Les « preuves matérielles » avancées ne confirment en rien ces allégations : la séquence vidéo présentée a été réalisée dans une autre zone que celle alléguée, et bien avant l’invasion russe à grande échelle de l’Ukraine. De plus, les caméras de surveillance de l’OSCE ne sont pas capables de filmer des vidéos sur de longues distances. Pour cela, elle utilise des drones à longue portée.
Selon les médias russes, la Mission spéciale d’observation (MSO) de l’OSCE a participé à la transmission de données militaires sur la localisation des forces des agresseurs russes aux forces ukrainiennes, ainsi qu’à la correction de frappes sur leurs positions.
Depuis le début, les autorités du Kremlin et les républiques autoproclamées entretiennent des relations tendues avec la MSO, qui opère en Ukraine depuis le 21 mars 2014. Après la signature des accords de Minsk II, la MSO était l’organe indépendant chargé de surveiller la mise en œuvre du cessez-le-feu et le retrait des armes de la ligne de démarcation. Mais les combattants russes ont fréquemment entravé ses activités sur les territoires non contrôlés par le gouvernement ukrainien. Ces faits ont été documentés plus d’une fois dans les rapports de la Mission. En février 2022, avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la MSO a enregistré de nombreuses violations du cessez-le-feu. Le 25 février, il a été décidé d’évacuer d’Ukraine tous ses membres et de mettre fin à son mandat le 31 mars 2022.
Le 1er mars, le « représentant de la milice populaire de Donetsk », Eduard Basurine, a déclaré que les représentants de l’OSCE pourraient avoir transmis les coordonnées de cibles militaires situées à Donetsk aux forces armées ukrainiennes. À l’époque, les représentants de la « République populaire de Donetsk » (RPD) ont évoqué l’existence de documents indiquant les coordonnées de cibles militaires qui auraient été remis par l’OSCE aux forces armées ukrainiennes. Les accusations contre la MSO ont été formulées par de grands médias de propagande tels que Izvestia, RT, TASS, Gazeta.ru, RIA Novosti, Russia 1, Zvezda et d’autres. Le 9 avril, le « chef de la RPD », Denys Puchiline, a émis un ordre déclarant l’activité de l’OSCE sur le territoire de la république auto-proclamée comme illégitime et le séjour de ses représentants comme indésirable. L’accusation de coopération avec les forces armées ukrainiennes portée contre l’OSCE pourrait viser à discréditer l’organisation internationale et à rejeter la responsabilité des échecs de l’armée russe sur une tierce partie.
Reportage de RT : « L’OSCE pourrait transmettre des données sur la localisation des forces de la RPD aux forces armées ukrainiennes ».
Le reportage selon lequel l’OSCE pourrait transmettre des données sur la localisation des troupes russes aux forces armées ukrainiennes même après son retrait du Donbass a été diffusé sur RT le 10 avril. Un texte accompagné d’une compilation vidéo aurait été transmis à des représentants des forces armées ukrainiennes par une caméra de surveillance de l’OSCE. Cette caméra serait installée sur l’un des points de la ligne de contact. Le 16 avril, Alexandre Sladkov, propagandiste du Kremlin et journaliste de l’organe audio-visuel officiel russe VGTRK, a publié sur son canal Telegram une « enquête vidéo » intitulée « La mesquinerie de l’OSCE », dans laquelle il étoffe considérablement le récit de RT.
Ce dernier indique que « le 9 mars, une caméra vidéo haute résolution a été trouvée sur une remorque de voiture (immatriculée OSCE285MU) avec un fichier vidéo montrant que des frappes d’artillerie avaient été corrigées depuis les positions des forces armées ukrainiennes à Sakhanka et Bezymennoye, dans la région de Donetsk ». RT a également affirmé que le 19 mars avait été trouvé dans le village de Zachatovka un ordinateur portable Lenovo équipé d’un sous-système automatisé de collecte d’informations sur la situation aérienne appelé Viraj. Apparemment, cet ordinateur recevait des vidéos de la caméra de surveillance trouvée dans la remorque. Mais l’histoire de RT contient des incohérences évidentes.
Premièrement, la présence du système « Viraj« sur l’ordinateur portable ne prouve pas son lien avec les caméras de l’OSCE. « Viraj » est un logiciel développé à Kharkiv, capable de surveiller le ciel et d’afficher le mouvement des cibles aériennes en temps réel. Le système fait partie de la défense aérienne de l’Ukraine depuis 2016 et n’a rien à voir avec la collecte d’informations provenant de caméras de surveillance.
Deuxièmement, le reportage contient des fragments de séquences vidéo montrant des mouvements de colonnes militaires russes observées les 15 et 20 mars 2022 (mention clairement visible dans le coin supérieur gauche). En d’autres termes, ces vidéos ont été réalisées après les dates auxquelles RT affirme avoir découvert la caméra vidéo de l’OSCE (9 mars) et l’ordinateur portable Lenovo (19 mars).
Troisièmement, on peut entendre dans les commentaires de la vidéo que les événements se déroulent près du village de Krasnogorovka et de l’usine Cargill, près de Donetsk. C’est là qu’est surveillé un convoi militaire russe visé par l’artillerie ukrainienne. Ces lieux sont trop éloignés de l’endroit où, selon RT, a été trouvée la caméra: il y a 107 km entre le village de Bezymennoye et le village de Krasnogorovka. Les caméras de vidéosurveillance ne peuvent pas capturer d’images à de telles distances. Pour cela, il faut des drones ou des données satellitaires.
Par ailleurs, d’autres séquences vidéo de l’OSCE disponibles sur Internet montrent par exemple que les images nocturnes des bombardements de la station de filtration de Donetsk en 2018 et de Stanytsia Luhanska en 2017 ne peuvent pas avoir été capturées depuis de si longues distances. Pour ces observations plus précises du territoire, l’OSCE disposait d’une série d’autres moyens techniques. Cela suggère que les vidéos montrées par RT ne peuvent pas être celles de la caméra trouvée.
Selon les représentants de l’OSCE, les caméras de vidéosurveillance le long de la ligne de démarcation dans le Donbass ont été installées sur des mâts spécifiques, à 18 mètres de hauteur, avec un angle de vue de 360 degrés et une portée de 2 km. Elles étaient uniquement capables d’identifier quel camp tirait et quels équipements avaient été amenés sur la ligne de démarcation. Dans une vidéo sur la chaîne YouTube de la MSO, on peut voir à quoi ressemblent ces mâts. L’OSCE a commencé à installer des caméras le long de la ligne de démarcation en 2015. À l’époque, 25 caméras en état de marche ont été installées sur 500 kilomètres le long de la ligne de contact. Par la suite, le nombre de caméras a progressivement augmenté des deux côtés, même s’il y a eu des cas de mise hors service par des mercenaires russes. Alexander Hug, alors chef adjoint de la MSO, a indiqué que les informations cryptées des caméras sont transmises à l’OSCE par des canaux de communication fermés. De plus, elles sont la propriété de l’Organisation. Enfin, les représentants de l’OSCE ont expliqué que toutes les informations provenant des caméras étaient transmises d’abord au centre de l’OSCE à Marioupol, puis à Donetsk et à Kiev.
Ainsi, l’article de RT ne contient aucune preuve de la transmission de vidéos d’une quelconque caméra de l’OSCE à l’armée ukrainienne.
« L’enquête » d’Alexandre Sladkov: « La mesquinerie de l’OSCE ».
Une semaine après la publication de l’article de RT, le correspondant militaire de VGTRK, Alexandre Sladkov, a mis en ligne une « enquête » complète. Dans cette dernière, il a tenté de fournir des arguments supplémentaires prouvant la « coopération » de l’OSCE avec l’armée ukrainienne. Mais sa chronique vidéo comporte encore plus d’incohérences.
Dès le début, le reportage de A. Sladkov indique clairement l’emplacement de la caméra vidéo incriminée : il s’agit du village de Bezymennoye, dans la région de Donetsk, actuellement sous occupation russe. Il indique le même numéro d’immatriculation du véhicule (OSCE285MU) que dans le reportage de RT.
La caméra, selon A. Sladkov (00:50), avait un « zoom 200x » et était installée sur un mât. Elle a ensuite été retirée par des représentants de la « RPD ». Mais les images vidéo de l’OSCE montrent que les caméras ne disposent pas d’un « zoom 200x » et ont une visibilité plutôt réduite. A. Sladkov affirme ensuite (01:00) que la caméra détectée était dirigée vers le village de Sakhanka, où elle a pu filmer les mouvements des convois russes. En fait, la distance entre Sakhanka et Bezymennoye est de 7 km : il est donc difficile d’imaginer comment la caméra de l’OSCE (dont les capacités techniques sont mentionnées ci-dessus) aurait pu capturer des images à cette distance.
À 01:22 de la vidéo, A. Sladkov affirme que les traces de balles vues sur la caméra proviennent des militaires ukrainiens qui ont tenté de l’abattre en quittant la zone. Il convient de préciser ici que Sakhanka et Bezymennoye sont toutes deux sous contrôle permanent des combattants russes depuis 2014. Le contrôle était si féroce que les représentants de l’OSCE n’ont pas toujours pu passer par le poste de contrôle de Bezymennoye par « défaut d’autorisation des commandants de la milice ». Par conséquent, les forces armées ukrainiennes ne pouvaient tout simplement pas se rendre à cet endroit, surtout après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, et encore moins laisser des marques de balles sur la caméra.
À 03:11, A. Sladkov montre l’ordinateur portable Lenovo évoqué par RT. prétendument retrouvé dans le village de Zachatovka, à 70 km du village de Bezymennoye. A. Sladkov déclare qu’il contiendrait des vidéos transmises à l’armée ukrainienne par une caméra de l’OSCE. Mais les vidéos qu’il montre sont datées du 16.06.2018 (à 03:55) et du 27.06.2018 (à 04:25) : elles n’ont donc aucun rapport avec l’actualité. Par ailleurs, A. Sladkov travaille avec l’interface du logiciel ESRI, produit par une société américaine de systèmes d’information géographique (SIG) généralement utilisés par l’armée ukrainienne pour visualiser des géo-données et créer des cartes modernes de la région, plutôt que pour transmettre des données de ciblage pour l’artillerie.
Ensuite, de 05:10 et 06:55, défilent d’autres vidéos de RT datées du 15 et du 20 mars 2022 montrant la zone du village de Krasnogorovka et de l’usine Cargill, non loin de Donetsk, où le convoi russe progressait. Une fois encore, on ne voit pas comment les vidéos prises dans cette zone peuvent être reliées à la caméra du village de Bezymennoye.
« L’enquête » de A. Sladkov comprend une autre pseudo « preuve matérielle » : un téléphone qui aurait été trouvé dans la ville de Marinka et qui appartiendrait à un officier de l’armée ukrainienne. Marinka elle-même, encore une fois, est à proximité de Krasnogorovka, de Kurakhovo et de l’usine Cargill, toutes situées dans la banlieue de Donetsk. A. Sladkov assure que « les vidéos trouvées sur le téléphone sont identiques à celles stockées sur la caméra de l’OSCE ». Mais, comme cela a été précisé précédemment, ces vidéos ne peuvent en aucun cas être liées à la caméra de l’OSCE trouvée près du village de Bezymennoye.
A partir de 08:36 apparaît également le « témoin principal » de l’accusation de l’OSCE de « coopération » avec l’armée ukrainienne, Vadim Golda, présenté comme un « ex-assistant chargé de la sécurité à la mission de l’OSCE dans le Donbass ». Mais, comme nous l’avons appris par son CV trouvé sur un site de recherche d’emploi, Vadim Golda n’a occupé ce poste que pendant deux mois – de fin mars à début juin 2014. En d’autres termes, il avait fini de travailler à l’OSCE avant l’installation des caméras de vidéosurveillance. Leur installation ne commencera qu’en 2015, il est donc peu probable qu’il connaisse quoi que ce soit de leurs enregistrements et de leurs caractéristiques techniques. Malgré cela, dans le reportage de A. Sladkov, il affirme que « le système de vidéosurveillance de l’OSCE était complètement subordonné à Kiev, et que les données des caméras n’allaient qu’à Kiev ». Mais ceci est réfuté par les informations obtenues auprès des représentants de l’OSCE.
Le récit de A. Sladkov indique clairement que ni la vidéo présentée, ni la caméra prétendument trouvée à Bezymennoye, ni le téléphone ou l’ordinateur portable, ne peuvent confirmer l’implication de l’OSCE dans la correction des tirs sur les positions des forces armées russes.
Vidéo de VGTRK : « L’OSCE au service de Kiev: comment les espions travaillaient ».
Une version abrégée de « l’enquête » d’Alexandre Sladkov a été diffusée dans l’émission Vesti sur Russia 1 le 15 avril. Dans cette version, A. Sladkov a légèrement modifié la voix off et ajouté quelques bêtises à une « enquête » déjà peu reluisante. Ainsi, à 00:49 minutes du reportage, il évoque le fait que des caméras de surveillance sont apparues tout le long de la ligne de démarcation dans le Donbass en 2018, alors que leur installation a commencé dès 2015. Puis, à 00:55 minutes, il affirme que « les images des caméras ont été stockées en Europe », alors que l’on sait qu’elles ont été traitées au centre de l’OSCE à Marioupol, puis transmises à Donetsk et à Kiev.
A. Sladkov affirme également que l’OSCE aurait « oublié une de ses caméras près du village de Bezymennoye » (01:01). Mais il ne s’agit pas d’un oubli : la mission a été évacuée du Donbass en urgence après l’invasion russe à grande échelle de l’Ukraine. Selon les médias russes, les représentants de la MSO ont quitté la « RPD » le 1er mars et n’ont pas eu accès à leurs équipements depuis cette date. A. Sladkov en est bien conscient. Selon un ordre émis par le « chef de la RPD », Denys Puchiline, les représentants de l’OSCE étaient tenus de retirer les équipements de la Mission avant le 30 avril 2022. Or, depuis le 9 avril, selon cet ordre, les activités de l’OSCE sur le territoire de la république autoproclamée ont été déclarées illégitimes.
Les reportages diffusés par les chaînes russes RT et VGTRK ne contiennent aucune preuve permettant d’accuser la MSO de l’OSCE d’apporter une aide militaire à l’armée ukrainienne. Les pseudo « preuves » avancées ne résistent pas à la critique, et la campagne visant à discréditer ses activités de la MSO Ukraine est probablement liée à la nécessité pour la RPD de trouver une justification à l’interdiction de sa présence permanente dans le Donbass.