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Le journaliste Nicolas Hénin décrypte les diverses motivations des soutiens français à Vladimir Poutine et dessine une géographie de leurs réseaux, qui trouvent des relais dans des endroits parfois inattendus
Depuis la sortie du livre de Nicolas Hénin sur «La France russe» (1), début juin, on a vu le Sénat français voter une motion plus qu’ambiguë appelant à une «levée progressive des sanctions» européennes contre la Russie. Puis on a vu Nicolas Sarkozy se rendre se ranger à cette même idée. C’est donc dire à quel point ce livre est dans l’actualité.
Il existe en France une vaste coalition de Poutinophiles français. Ces membres ont des convictions parfois opposées. Certains sont ainsi très à gauche ou d’autres à l’extrême droite. On y trouve des gens de tous milieux : des hommes d’affaires, un évêque, un quarteron de généraux et beaucoup de militants de différents partis… Mais tous trouvent un attrait à la figure du président russe pour des raisons qui leur sont propres, et qui parfois s’opposent.
Le journaliste Nicolas Hénin a rencontré quelques-uns d’entre eux et dresse un portrait de cette France poutinienne. En chemin, il nous raconte quelques histoires plutôt savoureuses et significatives. Ainsi, il nous révèle comment, l’ancien premier ministre François Fillon avait forcé la main à l’administration française pour faire accepter l’installation, dans le 8e arrondissement de Paris, d’une statue célébrant l’armée russe.
Ce monument devait marquer le bicentenaire de l’entrée de l’armée du tsar dans Paris en 1814, avec les troupes coalisées contre Napoléon. La statue devait figurer un soldat russe tenant son cheval par la bride, avec à ses pieds un amoncellement de munitions et une mitrailleuse. Elle devait être érigée cours La reine, face au Grand Palais, soit le plein cœur de Paris. L’idée avait été inspirée par l’ambassade de Russie.
Apparemment, l’idée de rendre ainsi hommage à une armée d’occupation n’avait pas dérangé. C’est le maire de l’époque, Bertrand Delanoë, qui a eu une attaque en découvrant la chose et catégoriquement bloqué ce projet farfelu.
Nicolas Hénin révèle aussi le contenu d’une note interministérielle confidentielle sur l’activité des services de renseignement russe en France. Elle estime que la moitié des diplomates russes à Paris sont membres des services secrets, soit une bonne centaine de personnes.
Elle situe en 2008 l’année du début d’une offensive des services russes en France. Selon cette note, leur but est d’y créer un lobby, de diviser les opinions publiques, mais aussi les pays européens entre eux. Ce travail a porté ses fruits. Mais n’a pas empêché le président François Hollande de bloquer la vente des navires «Mistral», si ardemment voulus par la Russie, et finalement livrés à l’Égypte il y a quelques jours…
Le livre apporte aussi un bon décryptage de la stratégie russe sur les réseaux sociaux. Il nous montre comment des sites russes, richement dotés, aidés d’une armée de «trolls de Poutine», tentent de créer la confusion dans l’esprit du public français. Les Russes nomment cela «maskirovka», l’action cachée.
Il s’agit pour les agents de cette action de créer le doute, de faire en sorte que les lecteurs n’aient plus confiance dans ce qu’ils lisent, au point d’en perdre le discernement, de jouer sur la méfiance, de plus en plus grande, qui existe à l’égard de nos élites. Cette «spetspropaganda» (propagande spéciale) est un art enseigné depuis longtemps en Russie, à l’époque de l’URSS comme aujourd’hui, nous raconte Nicolas Hénin.
Spécialiste du Moyen-Orient et des relations internationales, Nicolas Hénin s’était surtout, jusqu’ici, intéressé au monde arabe. Il est notamment l’auteur de «Jihad Academy», un livre consacré à l’essor de l’État islamique en Syrie et en Irak.
L’implication de la Russie sur le théâtre syrien fait que, désormais, ces sujets sont liés. Le «Poutinisme» se veut une alternative globale, même s’il n’a pas la force d’attraction qu’a eue, à une époque, le communisme soviétique. Et en nous dévoilant les ressorts de cet activisme russe, cette enquête fait un travail salutaire, car elle peut nous aider à nous immuniser, un peu, contre la «maskirovka».
(1) LA FRANCE RUSSE, enquête sur les réseaux Poutine, Nicolas Hénin, Fayard, 322 p., 19 €
Par: Renaud Rebardy
Source: COMITE UKRAINE Libération
Illustration: LA FRANCE RUSSE, enquête sur les réseaux Poutine, Nicolas Hénin