AP Photo/Rogelio V. Solis
Mathieu-Robert Sauvé, Université du Québec à Montréal (UQAM)
Lundi, 27 personnes sont mortes en Iran parce qu’elles ont cru les « rumeurs selon lesquelles la consommation d’alcool à friction peut être efficace dans le traitement des maladies liées au coronavirus », selon l’agence de presse nationale Irna. Ce nombre de décès surpassait à pareille date le nombre de victimes du virus en France (25 morts) et aux États-Unis (21 morts).
Parmi les fake news les plus surprenantes que la pandémie a fait naître, on a pu lire que les colis en provenance de Chine pouvaient infecter les destinataires ou que les animaux domestiques étaient des vecteurs de la maladie. Des « idées reçues » que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a démenties. Le président américain, Donald Trump, en a ajouté une couche, affirmant que la Covid-19 était elle-même une immense fake news. « Je pense que 3,4 pour cent de [mortalité] est un faux chiffre », a-t-il dit, corrigeant subjectivement ce taux à autour de zéro (l’OMS l’évalue à 3 à 4 pour cent).
La ruée mondiale vers les denrées de base non périssables, en plus du papier hygiénique, répond à la même logique : malgré les démenties répétés du secteur du commerce de détail, et du premier ministre François legault, les gens croient à tort à une pénurie.
Fausses nouvelles, désinformation, infox, infausses peu importe comment on traduit « fake news », c’est un vrai cauchemar informationnel que la pandémie a généré dans les réseaux sociaux numériques. On a envie de croire Umberto Eco pour qui ces moyens de communication avaient « donné » le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité).
Mais est-ce aussi simple ?
Comment de telles faussetés peuvent contaminer des gens au point de les pousser vers la mort d’une surdose de méthanol ? D’abord, il faut savoir que la définition d’une fake news ne fait pas consensus. Est-ce un phénomène nouveau ou un vieux problème assimilable aux canulars, à la propagande militaire et politique ou à la mésinformation inhérente à tout échange public ? Doit-on inclure dans ce fourre-tout le pastiche et la parodie ? Les textes qui parlent de miracles et d’anges sont-ils des tromperies suspectes, des vérités falsifiées ? Et surtout : comment limiter les effets de ces mensonges ?
Certaines de ces questions étaient au cœur de ma recherche de maîtrise sur les fake news et le journalisme. Elles demeurent centrales pour la suite, une enquête de troisième cycle universitaire qui tentera de démontrer si les lois peuvent empêcher leurs conséquences délétères.
Lois ou marché ?
En réalité, il n’y a guère d’alternative dans un État de droit : ou bien on laisse les lois du marché agir, ce qui amène les plates-formes telles Facebook, Instagram et Twitter faire le ménage dans leurs rangs ; ou bien on fait pression pour que les gouvernements instaurent des lois pour contrer cette désinformation.
Actuellement, c’est le néolibéralisme qui mène la danse. Les entreprises réagissent. Pas une semaine ne passe sans que les grands réseaux annoncent des mesures pour circonscrire le fléau. Dernières trouvailles : Twitter étiquettera les contenus « falsifiés » ou « nocifs » et Facebook promet de supprimer la désinformation. Ces moyens sont-ils suffisants ? Le recours à l’intelligence artificielle pour identifier les informations mensongères est une solution séduisante, mais peu fiable. Peut-on le faire manuellement ? Comment décider de ce qui est acceptable ?
Peu populaire en Amérique du Nord, la législation est le chemin suivi par quelques juridictions telles l’Allemagne et la France. La NetzDG allemande prévoit depuis 2017 le retrait des contenus illicites dans les 24 heures. En 2019, elle a infligé à l’entreprise de Mark Zuckerberg une amende de deux millions d’euros pour avoir contrevenu à ses dispositions au sujet des contenus haineux. Quant à la Loi contre la manipulation de l’information, elle n’a pas encore montré son efficacité, car elle sera appliquée aux élections de 2022.
Dans une conférence portant sur les deepfakes (seconde génération de fake news qui allient images vidéo et sons de synthèse), la juriste américaine Danielle Citron s’inquiète des effets de telles duperies sur la population. Elle imagine une fausse vidéo de soldats américains brûlant des exemplaires du coran. Ces hypertrucages soulèveraient une indignation mondiale. Le lendemain, un imam de Londres lancerait une fatwa contre ces soldats, déclenchant « des violences et des troubles civils […] partout dans le monde ». À son avis, les lois actuelles ne sont pas à la hauteur. « D’un bout à l’autre du monde, on manque de lois adaptées qui permettraient d’empêcher ces mises en scène numérique qui violent l’intimité, qui détruisent des réputations et causent des dommages émotionnels. […] Il y a un vide juridique qu’il faut combler », dit la professeure de l’Université de Boston.
Bien sûr, les lois ne règleront pas tout ; elles ne peuvent rien contre les auteurs anonymes ou étrangers que les services policiers ne peuvent retracer. Face à un problème si complexe, il faudra compter sur les jeux complémentaires de plusieurs solutions. L’une d’elles se trouve du côté de l’éducation aux médias. Beaucoup de travail nous attend à ce chapitre, car les programmes scolaires sont encore largement déficitaires.
Jusqu’à l’apparition de la pandémie, la population croyait les effets des fake news limités aux élections tronquées et aux référendums qui déraillent… Peut-être que le drame iranien est un cas isolé, mais il démontre que les infox peuvent être un réal danger pour la santé publique. Le réveille-matin sonne !
Mathieu-Robert Sauvé, Journaliste, auteur, chercheur-étudiant en communication, Université du Québec à Montréal (UQAM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.