Par: Cécile Barbière
Source: EURACTIV.fr
La loi controversée sur la manipulation de l’information en période électorale ne sera pas adoptée avant juillet. De son côté, Bruxelles refuse de légiférer sur ce sujet sensible.
Le débat sur les propositions de loi sur les «fausses informations» va jouer les prolongations en France.
Les deux textes visant à lutter contre la manipulation de l’information en période électorale ont été débattus par les députés français le 7 juin. Mais les parlementaires ne sont pas venus à bout de l’examen des nombreux amendements de ce texte controversé.
La suite du débat doit être programmée en conférence des présidents, probablement lors de la session extraordinaire de l’Assemblée nationale en juillet. Un des objectifs étant que l’arsenal de lutte contre la désinformation soit opérationnel pour les élections européennes de 2019.
«Nous devons inverser la courbe de l’abstention, qui se nourrit de la diffusion massive, artificielle d’information dangereuse visant à mettre en danger les scrutins électoraux» a précisé Bruno Studer, le rapporteur de la loi.
Les propositions de loi prévoient notamment la responsabilisation des plateformes numériques (Facebook, Google, Twitter), canaux de diffusion privilégiés dans «fake news», le renforcement des pouvoirs de sanction du Conseil supérieur de l’audiovisuel et le recours à la justice pour suspendre la diffusion d’une «fake news» en période électorale et préélectorale.
«La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du débat» a souligné la ministre de la Culture et de la Communication, Françoise Nyssen, lors des échanges dans l’hémicycle, citant la philosophe Hannah Arendt.
« Il ne s’agit pas ici de parler de « fake news », car c’est une expression qui a été inventée et popularisée par le président américain Donald Trump notamment pour s’attaquer aux informations diffusées par des journalistes », a mis en garde le rapporteur Bruno Studer.
«La manipulation de l’information, c’est un poison lent qui détruit notre crédibilité, qui abîme notre vie démocratique», a-t-elle poursuivi. La ministre a soutenu les propositions de loi, portées par les députés de la majorité, affirmant qu’ils avaient trouvé le difficile équilibre entre la lutte contre la propagande et la liberté d’information
«Le texte ne vise pas la production des fausses informations, mais leur propagation, c’est le nerf de la guerre» a rappelé la ministre. La ministre a pointé du doigt le rôle des plateformes, «qui ne joue pas le jeu démocratique». Pour la ministre, leur modèle économique participe à la propagation des fausses informations, «elles vendent des likes et des followers à tous, même aux émetteurs de fausses informations» a-t-elle rappelé.
Prudence européenne
De son côté, Bruxelles s’est pour l’instant rangé à une position de prudence, en se cantonnant à des recommandations sur le sujet. La Commission a ainsi donné aux plateformes en ligne jusqu’en juillet pour élaborer un code de conduite visant à limiter les fausses informations sur les médias sociaux.
Si la stratégie de la Commission sur les fausses informations critique sévèrement les plateformes en ligne, elle ne propose pas de mesures législatives contraignantes.
La proposition de Bruxelles espère donner un cadre européen à la lutte contre les fausses informations, afin de limiter la fragmentation des législations. «Notre réponse ne peut s’arrêter aux frontières nationales. L’Europe est en première ligne dans la guerre hybride que nous mènent certains États tiers, pour qui les fausses informations sont devenues une arme de déstabilisation massive» a rappelé le rapporteur pour la commission des Affaires européennes, le député LREM Pieyre-Alexandre Anglade
«La réponse ne peut être qu’européenne et ne peut s’arrêter à nos frontières», a fait valoir la députée LR Constance Le Grip, pour qui les textes défendus par le gouvernement sont «au mieux inefficaces et inapplicables».
Un texte très critiqué
Outre les craintes sur l’utilité d’un texte nationale et l’équilibre précaire sur la liberté d’information, certaines dispositions du texte ont également été jugées peu efficaces par la société civile.
L’intervention d’un juge en référé est particulièrement critiquée. Selon le EU Dinsinfo Lab, une ONG spécialisée dans la de lutte contre les fausses informations, «l’assomption de la capacité du pouvoir judiciaire à démêler le faux du vrai en moins de 48h» n’est pas réaliste.
L’intervention judiciaire est également pointée du doigt par Reporters Sans Frontière (RSF), qui estime que «définir une fausse information comme “toute allégation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable” méconnaît la logique du travail journalistique et ne laisse pas au juge la charge de la preuve du caractère manifestement erroné d’une information».
Pour Constance Le Grip, il y a «un risque de voir des allégations qualifiées de “fake news” par le juge [se révéler] fondé quelques jours plus tard».
Le renforcement des pouvoirs du CSA provoque aussi des inquiétudes. L’un des principaux outils du texte prévoit que l’autorité de régulation puisse refuser ou retirer l’autorisation d’émettre à une chaîne de télévision ou de radio contrôlée ou «sous l’influence» d’un État étranger, si celle-ci «porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, notamment par la diffusion de fausses informations».
Une sanction critiquée par Reporters Sans Frontière (RSF), qui appelle les législateurs à donner un pouvoir sur la question de l’indépendance éditoriale de l’ensemble des médias. Ainsi, le CSA pourrait «prononcer des sanctions légitimes lorsqu’il est établi que ces médias ne satisfont pas à leurs obligations».
Par: Cécile Barbière
Source: EURACTIV.fr