Il y a deux ans et demi, la chaîne de télé ATR dédiée aux tatars a dû fuir la Crimée pour Kiev. Malgré une équipe réduite et des difficultés pour informer sur la péninsule de la mer Noire, elle tente de se développer.
Cinq personnes travaillent ce vendredi sur leur ordinateur dans une toute petite salle qui peut à peine les contenir tous. Des cartons pas encore déballés traînent sur des étagères. Le reste de la rédaction est dans un autre bâtiment, à quelques dizaines de mètres de là.
Bienvenue chez ATR, la chaîne de télé dédiée à la communauté turcophone tatar, installée au nord ouest de Kiev. Il y a près de deux ans, l’équipe a déménagé de Crimée dans des conditions très particulières, et cela se voit. Il y avait à l’époque 150 personnes qui y travaillaient, contre une cinquantaine aujourd’hui. Elle est disponible sur Internet mais aussi à la télévision ukrainienne.
Après l’annexion de cette région du sud de l’Ukraine, au bord de la mer Noire, le pouvoir russe a mis des bâtons dans les roues de la rédaction pro-Ukrainienne. Pressions politiques et tentatives de censure ont conduit la rédaction à s’exiler. “Ces deux dernières années ont été difficiles, on s’est financé avec nos fonds propres. Mais maintenant, on peut de nouveau gagner de l’argent avec la publicité”, assure Osman Pachaev, le rédacteur en chef.
Né en Ouzbékistan, là où les Tatars de Crimée avaient été massivement déportés sur ordre de Staline, l’homme est lui-même tatar, comme nombre des ses collègues. L’actualité dans les régions séparatistes pro-Russes est couverte, tout comme celle en Crimée et dans le reste de l’Ukraine. “On a beaucoup parlé des combats à Avdiivka. Mais aussi de la mort d’un commandant pro-Russes accusé de tortures, Mikhail Tolstykh”, précise-t-il.
Selon le rédacteur en chef, le traitement de l’information de la chaine est engagé.“J’aimerais pouvoir donner une information objective, mais tant qu’il y aura la guerre en Ukraine, nous défendrons les habitants de Crimée, qu’ils soient tatars ou non, à partir du moment où ils subissent l’oppression russe”, justifie-t-il.
Pour la rédaction, couvrir l’actualité de la Crimée est possible mais très difficile.“Lorsque nos journalistes partent là-bas, ils se font parfois passer pour de simples touristes. D’autres ont une accréditation russe, obtenue en faisant croire qu’ils travaillent pour un autre média.”
Le paysage audiovisuel a changé depuis l’annexion de la Crimée. “Il n’y a plus de média libre, il y a juste de la propagande russe, estime Osman Pachaev. Mes anciens collègues d’ATR qui sont restés en Crimée ne peuvent plus vraiment faire leur métier. Ils parlent de culture, de théâtre mais jamais de politique. C’est très dangereux, ils peuvent finir en prison ou être kidnappés” poursuit-il.
Aujourd’hui la chaine tente malgré tout de se développer. “On prévoit d’agrandir l’équipe de journalistes dans quelques mois, et de nouveaux studios sont en construction à l’étage d’en dessous.” ATR propose des programmes en trois langues (russe, tatar, ukrainien), mais maintenant qu’elle est à Kiev, elle voudrait élargir son audience. Elle en a d’ailleurs besoin. “C’est difficile de parler de futur. Il y a beaucoup de médias concurrents. Et puis, l’économie de l’Ukraine a chuté avec la guerre. On essaie déjà de survivre”, conclut-il.
Par Victorien Willaume
Source: La Croix
Un nouveau regard sur l’Ukraine – blog par Alain Guillemoles et les étudiants en journalisme du Celsa