Source: Pavel Novikov, pour Krim.Realii
Pourquoi en Russie, on invente des histoires à propos de «Trains du Secteur Droit» en Crimée, d’un «garçon crucifié» à Slavyansk et d’autres fakes? Comment apprends-on à la société russe à vivre dans un espace de désinformation totale ? Est-il possible que les gens s’opposent aux autorités malgré la propagande du Kremlin?
L’écrivain et journaliste russe, correspondant militaire Arkady Babchenko, a répondu aux questions du projet «Dnevnoe show» («Daily Show») en direct de Radio Krim.Realii, avec le présentateur Pavel Novikov.
– Pour quel raison faut-il inventer des fakes, si ils sont réfutés dans quelques heures?
Les médias russes ne proposent que de la haine, même dans l’emballage de nouvelles
– Ces mensonges font des devoirs. Il est possible de comprendre qu’il s’agit d’un non-sens complet, mais le souvenir existera dans le subconscient humain. La mémoire du spectateur russe est comme celle d’un poisson rouge: il n’arrive pas à se souvenir de ce qu’on lui a dit trois jours après. Il est important d’être conscient dans ce cas que les médias russes ne proposent que de la haine, même dans l’emballage de nouvelles. La Russie est un pays qui vit depuis déjà longtemps dans un univers de propagande, ça date de l’époque de l’Union soviétique. A présent, sous nos yeux, le Kremlin a créé un mythe à propos d’un pilote abattu en Syrie. Prétendument, il s’est fait sauter avec une grenade en s’exclame: «Pour les frères d’armes!»
– Est-ce un nouveau type de fake?
– Non, en effet, c’est un mythe militaire typique. Ces fakes sont incroyablement persistants. Mais auparavant, il ne fallait pas les fabriquer. Les fakes ont déjà été utilisé en tant qu’arme d’information en 2008, lors de l’occupation de l’Ossétie du Sud. Je parle de soi-disant «2000 morts dans la population civile à Tskhinvali», qui était en réalité 150 personnes. C’est à partir de ce moment précisément que les médias russes ont commencé à créer ce bruit informationnel et vandaliser l’espace médiatique. Peu importe ce que devient le fake, pour la plupart il est évident que, si ils existe une trace dans la mémoire, donc, il s’est passé quelque chose. Certains croient toujours à la véracité du «garçon crucifié» à Slavyansk.
– Mais pourquoi si cela contredit la logique la plus simple ?
– Les fakes de ce type sont souvent émotionnels et passent immédiatement dans le subconscient, au-delà des capacités cognitives. Vous commencez à parler avec votre interlocuteur, à donner des arguments et des preuves, mais son cerveau est déjà lavé, et le contact ne se produit pas. En Union Soviétique, il existait toute une génération de gens qui savaient lire entre les lignes, mais dans la Russie moderne, ce type d’humains n’apparaît plus. La demande n’est pas formulée. Il existe Internet, l’accès à l’information est facile, et les gens ne veulent pas connaître ce qui ne rentre pas dans leur vision du monde. Cependant, il est impossible de maintenir une société dans un état d’hystérie permanent car les gens se fatiguent. En plus, il faut toujours augmenter le degré de schizophrénie, et il arrive un jour quand il faudra prononcer une absurdité telle que personne ne croira. A présent, ce mécanisme marche au ralenti, mais dès qu’on le trouvera nécessaire, l’hystérie reviendra, peut-être même dans une forme encore plus éblouissante.
– Supposons que les Russes n’ont pas tout compris en 2014 ou en 2015. Maintenant, quatre ans plus tard, cela devrait être clair pour eux, que leurs autorités se sont impliquées dans le conflit du Donbass?
Les Russes ne s’intéressent pas aux territoires, mais à la soi-disant grandeur qu’ils reçoivent avec cette dose de drogue sous la forme d’un nouveau territoire
– Je pense qu’ils savent bien ce qui se passe dans le Donbass, qu’est-ce qu’il s’est passé avec le «Boeing» et ce qui est arrivé aux mercenaires de «Wagner» en Syrie. Mais ils ne veulent pas reconnaître cela ouvertement, car c’est inconfortable. Les gens ne peuvent pas accepter qu’ils sont devenus des esclaves de la propagande, et qu’ils soutenaient l’agression contre un autre pays. En fait, à mon avis, l’infantilisme est devenu l’idéologie nationale de la Russie. C’est une incapacité chronique à assumer leur responsabilités et les autorités soutiennent cet état des choses de toutes les manières possibles.Vous savez, après 2014, ce qu’il va arriver à ce pays m’est égal. Ce pays ne veut pas changer, les gens veulent vivre comme ça. Les Russes ne s’intéressent pas aux territoires, mais à la soi-disant grandeur qu’ils reçoivent avec cette dose de drogue sous la forme d’un nouveau territoire. Tant pis si la Russie est en ruine, les Russes se voient parmi les grands! L’objectif a été atteint, et les médiocres se résignent aux difficultés. Le meilleur conseil que je peux offrir est: partez où coupez complètement le flux d’information financé par le Kremlin!
– De toute façon, il est impossible de couper tout contact avec la société russe, dans la vie courante. A quel point est-ce inconfortable aujourd’hui?
La Russie est un pays pour les hommes physiquement forts, capables de se protéger
– Le niveau d’agression est très élevé dans la société russe. Personnellement, je dirais qu’à mon avis, chaque sortie de sa maison peut être comparé avec une opération militaire. Je peux dire que, sans exagération, un geste de la main ou un regard peuvent provoquer une agression. A présent, la Russie est un pays pour les hommes physiquement forts, capables de se protéger. Ce n’est pas encore le Congo, où les enfants coupent les mains d’autres enfants avec des machettes, mais on avance dans cette direction. Il y a au moins une bonne chose, c’est que de tels régimes se terminent un jour ou l’autre. Cependant, ce régime possède une certaine marge de sécurité, il peut encore durer. Et il dure.
Source: Pavel Novikov, pour Krim.Realii
La version texte par Vladislav Lenzev.