Divina Frau-Meigs, Auteurs fondateurs The Conversation France
En cette période où l’éducation aux médias et à l’information (EMI) se fait… à la maison, son rôle dans la lutte contre les informations frelatées ou frauduleuses est essentiel. Que ce soit sur les médias de masse ou les médias sociaux et autres messageries instantanées, les infox sont envahissantes, notamment en ce qui concerne le coronavirus.
Or, la désinformation sur le coronavirus peut contribuer à aggraver la pandémie mais ne doit pas inhiber notre esprit critique face à une couverture médiatique, qui produit un effet hypnotique inégalé depuis le 11 septembre 2001) tous azimuts.
L’éducation aux médias et à l’information permet d’en comprendre les mécanismes, de se doter d’un répertoire de « gestes barrières », et de prévoir l’après-coronavirus, où il faudra bien se poser la question de l’impact de la pandémie sur notre espace public numérique commun.
Typologie des infox
Les infox sont une menace à l’intégrité de l’information : opinion vs fait, manipulation des esprits vs intelligence collective… Les infox sont aussi une menace envers les sociétés démocratiques (intégrité des élections, ingérence politique de tierces parties étrangères…).
Le coronavirus ne dément pas ces menaces. Et, de fait, le schéma systémique des désordres de l’information fonctionne dans le cas du coronavirus et peut être utile pour repérer les types d’infox ainsi que les acteurs et leurs motivations dans ce cas précis de « peur liquide » comme le dirait Zygmunt Bauman.
Dans la liste des rumeurs, légendes urbaines et autres nouvelles à sensation, les recettes de grand-mère font foison : les remèdes douteux comme la cure d’ail ou l’huile de sésame, comme prendre un bain chaud ou faire des pulvérisations sur le corps, voire faire usage du sèche-main au lieu d’eau et de savon. Le motif de ceux qui propagent ces bruits ? L’envie de se faire une réputation, d’avoir de l’influence et du crédit social. Les solutions pour les contrer ? Ne pas amplifier ces messages, ne pas les rediffuser, les signaler aux proches, les réfuter sans insulter leurs auteurs.
Dans les pièges à clic viennent souvent les faux appels aux dons et les faux conseils de médecins : boissons chaudes ou alcool protégeraient du coronavirus, les vaccins contre la pneumonie seraient efficaces. Ils font appel à des habitudes d’auto-médication développées en ligne depuis un moment. Le motif derrière tout cela ? La recherche d’audience et de profit. Les solutions pour les contrer ? Les signaler aux plates-formes de médias sociaux, démonétiser les vidéos et les sites, consulter des sites de confiance comme celui de l’OMS.
Dans les théories du complot, proches aussi de la propagande et des cybermenaces, se glissent les peurs de la mondialisation et les angoisses du déclinisme ou du déplacement : le virus serait une arme biologique développée en laboratoire, une ruse des élites pour contrôler le monde, ou encore une manière déguisée d’attaquer la Russie, la Chine enterre ses porcs porteurs du virus, etc. Le motif derrière ces messages viraux ? Déstabiliser les équilibres géopolitiques. Les solutions pour les contrer ? Réguler, surveiller la toile…
Dans tous les cas, l’éducation aux médias et à l’information est la solution qui ouvre la porte à toutes les autres solutions, notamment en matière de connaissance, de contre-discours et de réfutation durable.
Adopter les gestes des «fact-checkers»
Ce que nous apprend la recherche sur la vérification de la désinformation, c’est le rôle de la latéralisation et de la pensée visuelle.
Les méthodes traditionnelles, analogiques, de vérification de l’information sont moins efficaces que celles du numérique. Lire un article de manière linéaire et verticale, chercher des marqueurs familiers (guillemets, noms, paratextes), et regarder le contexte de publication sont des stratégies qui datent de l’époque où nous étions dans la rareté de l’information et dans la lenteur de la diffusion.
La réalité actuelle de la viralité oblige à des stratégies plus dynamiques, en lien à la surabondance de l’information, y compris en ce qui concerne la vérification de l’infox. Évaluer un site pour savoir s’il est fiable ou pas implique non pas de le parcourir de manière linéaire et complète… mais de le quitter et de chercher d’autres sources !
C’est ce que font les fact-checkers, cognitivement : ils latéralisent – c’est-à-dire qu’ils ouvrent plusieurs onglets de sites et d’outils qu’ils considèrent fiables, et comparent leurs résultats, sans se précipiter vers la première source qui ressort, mais en parcourant rapidement du regard les pages de résultats avant de cliquer.
En un mot, ils utilisent le web comme une toile, et non comme un texte, et ne sous-estiment pas le rôle des moteurs de recherche pour pousser le résultat le plus populaire qui n’est pas nécessairement l’information la meilleure. Ils ne s’embarrassent pas non plus de raisonnements philosophiques, mais sont guidés par trois questions sur la crédibilité de la source :
- Qui est à l’origine de ce message ?
- Quelles sont les preuves ?
- Que disent les autres sources ?
Voilà qui nous renvoie au petit pense-bête de l’intox !
Nouveaux outils
Ces recherches indiquent que l’éducation aux médias et à l’information doit évoluer pour s’appuyer sur les procédés techno-cognitifs du numérique. La techno-cognition est un champ interdisciplinaire qui incorpore à la fois le design des architectures de l’information (les moteurs de recherche, les hyperliens…), les principes de base de construction de l’information et les formes de raisonnement en ligne (dont la latéralisation et les biais cognitifs).
La techno-cognition s’appuie sur des outils qui sont en phase avec les modes de fonctionnement du cerveau et les logiques numériques pour donner plus de maîtrise sur le processus de vérification.
Un outil que l’on peut télécharger sur son navigateur comme InVID par exemple, se focalise sur la vérification d’images et de vidéos, et permet de retrouver des métadonnées, de fragmenter des séquences en images clés, de rechercher des similarités (sur Twitter, Facebook, YouTube…), de comparer l’efficacité des moteurs de recherches (Google, Baidu, Yandex…), ou encore de détecter les trucages d’images (altérations de structures, fréquences, cohérence des pixels…).
Toutes ces fonctionnalités ont un découpage qui correspond à autant de processus cognitifs : extraire, fragmenter, comparer, chercher latéralement, par similarité, appliquer des filtres… Ce sont les heuristiques de base de l’esprit critique, qui peuvent à la fois servir au texte et à l’image. Elles doivent faire partie des compétences en éducation aux médias et à l’information augmentées par le numérique.
Face à la pandémie et à sa viralité, l’enjeu démocratique est de faire passer ces outils experts à des usagers non experts. Les citoyens doivent pouvoir agir sur le champ, avec un outil de réponse rapide, pour décrypter et dénoncer une information frelatée. InVID peut faire partie d’une panoplie d’outils, en l’associant à des scénarios pédagogiques ou des tutoriels en ligne qui permettent la formation tout comme l’auto-formation.
Kit de survie
Il faut donc se forger une petite boite à outils, pas trop lourde, mais qui propose un kit de survie en milieu « infodémique ».
L’outil peut être détourné, bien sûr ! Ces fonctionnalités pointent vers de bons gestes barrières numériques, basés sur le principe de la latéralisation :
- allez sur plusieurs sites de fact-checking. Certains font le recensement des fakes news comme celui du Monde : « coronavirus : petit guide pour distinguer les fausses rumeurs des vrais conseils » ou de l’Agence France-Presse, Factuel : « Le coronavirus : les vérifications faites par l’AFP »
- allez sur plusieurs sites de ressources pédagogiques, comme celui du Clemi, de Savoir*Devenir, des Céméa
- utilisez plusieurs moteurs de recherche, comme Qwant ou Yandex
- Méfiez vous des visualisations de données et statistiques attenantes : elles ne veulent pas dire grand chose à ce stade (pas de dépistage automatique, décompte des seuls cas hospitalisés, calculs falsifiés comme soupçonné dans le cas de la Chine…) et ont pour seul résultat d’être anxiogènes, à force d’être véhiculées « en direct »
En un mot, variez vos sources, variez vos moteurs de recherche et abstenez vous de partager en cas de doute, ou, si vous ne trouvez rien pour corroborer votre information, c’est à tout le moins qu’elle est frelatée ou farfelue.
Et méfiez-vous de vos propres biais cognitifs : si une information sur le coronavirus vous est envoyée par un ami qui dit la tenir d’un oncle qui connaît quelqu’un à l’hôpital de Huawei, prudence…
L’éducation aux médias et à l’information favorise aussi les réflexes citoyens, qui consistent à signaler et à tout faire pour réduire la portée de l’« infodémie » sinon son ampleur ! Les plates-formes de médias sociaux ont désormais des onglets de signalement que ce soit Facebook, Instagram ou Twitter
Et l’esprit critique porte aussi sur les représentations véhiculées, qu’il s’agisse de propos catastrophistes, déclinistes ou de remèdes miracle sur le Covid-19. Pendant, et après l’infodémie, les enjeux citoyens de liberté d’expression et d’accès à une information de qualité restent cruciaux. La vigilance sur le débat public ouvert sur la couverture de la pandémie tout comme sur les discours sur l’adéquation des mesures et des risques, en période de communication de crise, reste de mise.
La mobilisation collective et solidaire absolument indispensable n’empêche pas l’esprit critique de s’exercer au delà de l’outil, vers la rhétorique et les manipulations de toutes sortes d’acteurs. Les métaphores de la guerre, du confinement, de la “distance” sociale, et autres slogans martiaux sanitaires nous plongent dans une dramaturgie collective qui nous happe et nous incite à suspendre notre jugement. A nous de rester vigilants et bienveillants à la fois.
Divina Frau-Meigs, Professeur des sciences de l’information et de la communication, Auteurs fondateurs The Conversation France
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.