Marc-André Argentino, Concordia University et André Gagné, Concordia University
Certaines croyances et pratiques religieuses peuvent être une arme à double tranchant pour les croyants en temps de crise.
Dans le contexte de la pandémie de la Covid-19, certaines idées religieuses peuvent réconforter ceux qui cherchent à donner un sens à cette nouvelle réalité complexe et angoissante. Cependant, des dirigeants religieux se servent aussi de cette pandémie comme moyen de profiter de leurs communautés ou faire avancer leurs agendas politiques. Depuis l’éclosion du virus, des dirigeants chrétiens influents aux États-Unis ont fait la promotion de théories du complot et de remèdes miracles, ce qui pose un risque sérieux à la santé publique.
Par ailleurs, plusieurs de ces prêcheurs refusent de se soumettre aux ordonnances de confinement et continuent leur rassemblement religieux. À la veille de la fête de Pâques, certains estiment qu’ils n’ont rien à craindre, car ils sont « couverts par le sang de Jésus », qu’ils voient comme une protection contre l’épidémie, à l’instar du récit de la Pâque juive où Dieu a protégé de la plaie ceux qui avaient mis le sang d’un agneau sacrifié sur les linteaux de leur porte. Se croyant aussi immunisés, certains donnent libre cours à l’idée de célébrer la Pâques en communauté, risquant davantage la propagation du virus.
Je suis spécialiste des rapports qu’entretiennent les groupes extrémistes avec les théories du complot et notamment comment ils utilisent la technologie à des fins de propagande et de recrutement. Mon co-auteur, André Gagné, qui a signé plusieurs articles sur La Conversation, travaille à la publication d’un livre sur les néo-charismatiques derrière Trump, leur impact sociopolitique, leur démonologie, et leur vision de la fin du monde.
Une attaque contre le président Trump
Plusieurs de ces théories du complot visent des objectifs politiques et sont souvent liées à la réélection de Donald Trump en novembre 2020.
Jerry Falwell Jr. le président de la Liberty University en Virginie a suggéré à l’émission Fox and Friends que la Covid-19 aurait été orchestré par la Corée du Nord et la Chine pour nuire à réélection du président Trump. Falwell a également soutenu qu’il y avait un complot médiatique contre le président par le biais de fausses nouvelles, à la suite de l’enquête Mueller qui n’a pas mené à la destitution de Trump.
Le conspirationnisme de Falwell peut conduire à des décisions néfastes. Par exemple, le 23 mars, il annonce que le campus de la Liberty University demeurera ouvert au retour de la relâche scolaire, ignorant ainsi les directives de l’état de Virginie. En incitant les étudiants à retourner à leurs résidences universitaires, Falwell adopte une attitude frivole face au virus, permettant ainsi sa propagation. Plus d’une douzaine d’étudiants ont été par la suite confirmés positifs à la Covid-19.
Un virus inventé
Le prêcheur pentecôtiste Rodney Howard-Browne a aussi récemment qualifié la Covid-19 de «fléau fantôme», créé par le gouvernement chinois pour faire effondrer l’économie américaine, faisant ainsi écho à Falwell. Il a renchéri en disant que l’éclosion aurait été orchestrée l’année dernière par la Fondation Bill and Melinda Gates et que la décision de propager le virus aurait été prise lors du Forum économique mondiale à Davos.
Selon Howard-Browne, le tout ferait partie d’une manigance de la part du «Deep State». Il s’agirait d’une conspiration antiaméricaine imbriquée dans le gouvernement, l’industrie, les médias et autres institutions voulant causer la chute du président Trump. La théorie est relayée par le mouvement QAnon. Il a débuté en 2017 sous l’influence d’une personne utilisant un compte anonyme connu sous le nom de «Q», et publiant des histoires de complot au sujet du président Trump sur le forum Internet 4chan.
De son côté, Howard-Browne a été arrêté et accusé le 30 mars de rassemblement illégal en violation de l’ordre de confinement, après avoir tenu des services religieux à son église en Floride.
Tony Perkins, président du Family Research Council, a allégué sur ses émissions de radio du 9 mars et du 10 mars, que la réaction à la Covid-19 était «irrationnelle» et que la peur entourant le virus était alimentée par les médias pour attaquer le président Trump. Perkins a atténué ses propos récemment, suite à la décision de sa fille de devenir bénévole dans l’unité respiratoire d’une salle d’urgence.
Un «combat spirituel»
Le «combat spirituel» est un concept de guerre dualiste entre le bien et le mal : c’est l’idée que des forces démoniaques se livrent à une bataille contre les chrétiens. Certains dirigeants néo-charismatiques perçoivent le virus comme étant un démon pouvant être exorcisé du corps comme un « esprit » maléfique. Par conséquent, les croyants n’auraient pas à s’inquiéter d’être infectés, car Dieu leur promet la guérison et la protection. Ultimement, la Covid-19 serait donc beaucoup plus dangereux pour les non-croyants que pour eux.
Dans un récent épisode de ballado de la chaine Charisma, Cal Pierce, directeur de «Healing Room Ministries» a parlé de la Covid-19 en termes de « combat spirituel ». Pierce avait prédit le 13 mars que dix jours suffiraient pour que le coronavirus ne disparaisse miraculeusement. Dieu allait ainsi vaincre les mauvais esprits responsables de l’épidémie.
L’idée que la lutte contre la Covid-19 est un «combat spirituel» a également été disséminée par David Hayes, mieux connu sous le nom Praying Medic, un personnage influent de la communauté QAnon avec 290 000 adeptes sur Twitter. Dans une diffusion en direct, Hayes a expliqué qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter au sujet de la Covid-19, rassurant son auditoire qu’ils ne seraient probablement pas touchés, car il s’agit d’un « combat spirituel ». Seuls ceux qui n’ont pas été choisis par Dieu seraient affectés par la maladie. Selon Hayes, il est possible d’exercer un pouvoir sur ce virus de la même manière que Jésus a guéri la belle-mère de l’apôtre Pierre de sa maladie.
Remèdes miracles pour le Covid-19
Le télévangéliste Kenneth Copeland a aussi fait la promotion de faux remèdes. À son émission, Copeland a prétendu que la Covid-19 était une « souche très faible de la grippe », que les personnes en santé ne devraient pas craindre ce virus et qu’ils peuvent s’inoculer avec la parole de Dieu.
Lors d’une émission le 13 mars, Copeland aurait « guéri » les auditeurs à travers leur téléviseur. Mais il y a cependant un coût à la guérison ! Lors de sa diffusion une semaine plus tard, Copeland rappelle aux téléspectateurs que même s’ils perdent leur emploi à cause de l’épidémie de coronavirus, ils doivent continuer à contribuer à l’église. « Peu importe ce que vous faites en ce moment, n’arrêtez pas de donner la dîme ! »
Dans le même ordre d’idées, Jim Bakker, télévangéliste américain et anciennement condamné pour fraude, a aussi vu la Covid-19 comme une opportunité d’escroquer ses auditeurs en les convaincant d’acheter des bouteilles de colloïdale à 80 dollars, pour la prévention et la guérison du coronavirus. Le 6 mars, la FDA mis un frein à cette fraude.
La vente de remèdes miracles et la promotion de théories du complot et de « combat spirituel » sont pour le moins inquiétantes, particulièrement face à la peur et la confusion issues de cette pandémie. C’est précisément dans ces moments de vulnérabilité que certaines personnes se tournent vers des figures d’autorité pour trouver du réconfort et des conseils. Ces dirigeants religieux exercent parfois une influence démesurée sur leurs adeptes, ce qui peut engendrer de mauvaises décisions aux conséquences mortelles.
Marc-André Argentino, PhD candidate Individualized Program, 2020-2021 Public Scholar, Concordia University et André Gagné, Associate Professor, Department of Theological Studies; Full Member of the Centre for the Study of Learning and Performance, Concordia University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.