Luc Bonneville, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa
La crise de la Covid-19 monopolise l’attention des médias et du public depuis déjà plusieurs semaines. Une quantité phénoménale d’informations, d’images et d’analyses circulent un peu partout. Cette surabondance d’informations pousse certains producteurs de contenu à vouloir se démarquer pour augmenter leur auditoire et à tomber dans le sensationnalisme.
Pensons ici aux mots, aux images ou aux graphiques qui sont utilisés par plusieurs médias pour parler, montrer et mettre en scène la crise de la Covid-19. Les médias sociaux, blogues et autres plates-formes numériques ne sont pas en reste. Un tsunami d’informations y déferle, sans que l’on puisse prendre le recul nécessaire pour en faire l’analyse. On peut s’interroger à savoir si ces informations, en jouant sur le registre de nos émotions, contribuent à amplifier la panique qui se répand dans la population.
En tant que sociologue et professeur de communication organisationnelle et de communication en santé (Health Communication), je m’intéresse aux enjeux posés par l’usage des technologies de l’information et de la communication (TIC) du point de vue des pressions qu’elles induisent dans le quotidien des individus et des logiques de l’urgence qu’elles contribuent à mettre en place. La crise actuelle offre l’occasion d’observer quasi en direct l’effet pernicieux des nouvelles qui tournent en boucle sur la santé des populations.
Le danger des images virales
Les images de cadavres qui jonchent le sol en Chine ou ailleurs, d’aéroports assiégés, de villes désertées, de rayons d’épicerie vides, d’hôpitaux remplis à pleine capacité, de mises en quarantaine et de confinement circulent en abondance sur Internet. Réelles ou non, ces images contribuent très certainement à alimenter la peur.
Les titres qui coiffent les nouvelles qui circulent sont à notre avis les plus pernicieux et les plus susceptibles d’entretenir le sentiment de panique que l’on tend à observer chez plusieurs individus.
Les nombreuses rumeurs, croyances populaires et autres théories du complot relayées comme par contagion sur le web n’aident en rien. Une étude portant sur l’influence des fausses nouvelles sur les épidémies a démontré que dans les réseaux sociaux, par exemple, les informations percutantes, sensationnalistes, à forte charge émotive, circulent plus facilement et rapidement que les informations vérifiées et validées.
La peur est normale, pas l’obsession
Une question peut se poser: pourquoi avons-nous collectivement peur ? Cette peur serait-elle co-construite et alimentée par les uns et les autres, participant chacun à leur manière à la surenchère de « nouvelles » sur la Covid-19 ? Est-ce cette surenchère d’informations quotidiennes qui nous pousse à craindre la pénurie de biens essentiels comme le papier hygiénique, les lingettes antiseptiques et autres produits désinfectants ?
La peur est une émotion légitime et souhaitable dans certaines situations. Il s’agit d’un mécanisme de défense du cerveau qui évalue la probabilité que certains risques puissent réellement nous menacer.
Elle devient problématique lorsqu’elle perdure dans le temps ou se transforme en angoisse. Et cela devient encore plus problématique lorsque l’objet de cette angoisse devient une obsession, qui monopolise toute notre attention en biaisant la perception que nous avons de ce qui nous entoure.
Des scénarios hollywoodiens
Certains concepteurs, influenceurs et relayeurs d’information se nourrissent de cette peur en nous rappelant combien nous sommes collectivement vulnérables face aux risques qui jalonnent notre existence. Ils créent les conditions propices à l’émergence d’une culture de la peur, symptomatique de sociétés qui cherchent à prévenir tous les risques susceptibles d’affecter notre mode de vie. Pour citer le sociologue Gérald Bronner, « la peur est un très bon produit sur le marché dérégulé de l’information ».
Dans les réseaux sociaux, on voit défiler des messages faisant des liens entre la propagation de la Covid-19 et les scénarios apocalyptiques des films de science-fiction ou d’horreur issus de notre «culture cinématographique occidentale». On peut d’ailleurs s’interroger sur le fait que certains des films et séries les plus récemment visionnés aient un lien avec les grandes pandémies. Qu’on pense aux films Contagion et Outbreak.
D’autres évoquent les similarités entre la propagation de la Covid-19 et les grandes épidémies qui ont fauché des millions de vies dans le passé, telles que la peste (la Grande Faucheuse), le choléra, la variole, la grippe espagnole.
Le défi de trouver l’équilibre
Toutefois, l’heure est à la concertation. Les autorités gouvernementales jonglent en ce moment avec une situation délicate: diffuser assez d’information, mais pas trop non plus. Le défi pour les autorités gouvernementales est de calmer la population, d’atténuer la peur, tout en diffusant des messages clés, simples à comprendre et qui apparaissent comme étant préventifs en concordance avec des pays qui traversent une situation similaire.
Sans vouloir être pessimiste, j’estime que la barre est haute cependant. Être inondé d’informations, de données statistiques et d’images percutantes, effrite toute prise de distance critique de la part de la population. La crise actuelle est aussi une crise de l’information, et le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, n’hésite d’ailleurs pas à parler aussi d’une véritable «infodémie».
Trop d’information nuit à l’information
La capacité de prendre des décisions rationnelles et réfléchies dans un tel contexte devient difficile, car trop d’information conduit à de la désinformation. Cette infodémie engendre du stress et une perte de sens. Cela est d’autant plus vrai quand il y a beaucoup d’inconnus et d’incertitudes, comme c’est le cas en ce moment.
Finalement, rappelons que, dans un tel contexte, chaque citoyen a un rôle à jouer dans la manière de s’approprier l’information et, surtout, dans le choix de la relayer ou non dans les réseaux sociaux. Avant de diffuser certaines informations, des spécialistes de la communication recommandent d’identifier les sources, de lire les articles au complet (et non seulement les titres) et de vérifier le statut des experts qui y sont cités.
Il faut surtout se méfier de nos propres préjugés. Être conscient que la peur et la panique prennent racine dans l’ignorance, elle-même entretenue par le trop-plein d’informations ainsi que les fausses nouvelles qui circulent dans l’espace numérique.
Nous sommes tous responsables de la peur que l’on peut alimenter chez les autres. Chacun a un rôle critique à jouer en ces temps de crise, non seulement sanitaire, mais aussi, et surtout, sociale.
Luc Bonneville, Professeur en communication et santé , L’Université d’Ottawa/University of Ottawa
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.