Jean Pouly, Université Jean Monnet, Saint-Étienne
C’est le nouveau fléau de la presse en ligne, des réseaux sociaux et même du monde politique. Les fake news, ou fausses nouvelles en bon français, pullulent sur Internet et sont largement relayées par les réseaux sociaux.
Les récentes initiatives lancées par Facebook ou Le Monde ont encore du mal à faire face à ce phénomène de masse. Pour lutter efficacement contre les fake news, encore faut-il bien comprendre pourquoi elles existent et comment elles se diffusent.
Si l’on ne se situe qu’au niveau des intentions, on sait que différents États, partis, courants, groupes de pression, peuvent avoir intérêt à créer de fausses nouvelles pour influencer l’opinion. C’est vieux comme le monde et on peut classer ces manipulations d’informations dans ce qu’on appelle couramment le « soft power ».
La publicité au cœur du mécanisme
Ces donneurs d’ordre font donc appel à des agences spécialisées dans la création de fausses nouvelles. Selon les spécialistes, il existerait des dizaines de milliers de sites produisant des fausses informations dans le monde ! Ces fausses nouvelles sont ensuite lancées et relayées massivement par leurs créateurs, aidés de robots sur les réseaux sociaux, essentiellement sur Facebook et Twitter. Une propagande de masse, industrialisée et robotisée.
Ensuite, c’est l’effet boule de neige, car chacun de nous relaie, souvent sans le savoir, ces mensonges. Comme les êtres humains font plus confiance à leurs proches qu’aux médias, une fake news d’un site douteux relayée par un proche est toujours plus crédible à nos yeux qu’une vraie nouvelle, publiée par un site connu.
Si l’argent est le nerf de la guerre, la publicité est le nerf d’Internet. En effet, la plupart des sites Internet sont en grande partie financés par la publicité en ligne. Et plus il y a d’audience, plus ils gagnent d’argent.
Si les trains qui arrivent à l’heure ne constituent pas une information pour les médias, les trains qui traversent le pôle nord grâce à Donald Trump suscitent en revanche beaucoup plus d’engagement sur Facebook que de vrais nouvelles, bonnes ou mauvaises. Les fake news génèrent donc énormément de trafic et donc de revenus.
Cela aiguise les appétits tout autour du monde et certains ont fait du mensonge organisé un business très juteux. Par exemple, le sulfureux Paul Horner, un américain passé maître de la fake news, qui sait très bien quelle information peut devenir un véritable « aimant à clic sur Internet ». Il a par exemple suscité l’engagement de près d’un million d’internautes en faisant tourner un article qui affirmait que le Pape soutenait Donald Trump.
Ce fabricant de fausses nouvelles gagne entre entre 5 000 et 10 000 dollars par mois de revenus publicitaires grâce à ses différents sites spécialisés dans les canulars et fausses nouvelles. Et à des milliers de kilomètres plus loin, dans un petit village de la République de Macédoine, de jeunes geeks en recherche de revenus faciles produisent eux aussi de la fake news à une échelle industrielle.
Sensibilisation, décodage et dénonciation
Face à ce phénomène, de nombreuses initiatives émergent pour contrer la propagation de ces mensonges en série. De plus en plus d’annonceurs souhaitent réduire leurs investissements dans les plate-formes qui ne filtrent pas les fake news, car elles ne veulent pas associer leur marque à ces sites et parce que l’engagement des internautes sur les publicités de ces sites est moins bon.
De son côté, Facebook a mis en ligne et largement diffusé un tutoriel qui explique les dix règles à suivre pour détecter les fake news. Très bien fait mais un peu laborieux pour Madame Michu, qui continuera à cliquer sur une information relayée par sa petite nièce. Par ailleurs, l’entreprise a décidé de couper la publicité des pages diffusant des fake news.
En revanche, ces grandes plate-formes américaines commencent à investir dans des outils de détection de fake news comme Decodex, mis en place par Le Monde et réfléchissent à financer le travail des journalistes pour faire ce tri un peu fastidieux. Mais ce système a ses limites.
Car de ce fait, la plate-forme de diffusion et le média deviennent économiquement liés, ce qui pose d’autres problèmes éthiques. Par ailleurs, un groupe d’activistes américains, appelés les Géants Endormis incitent publiquement les entreprises à retirer leurs publicités des sites qui diffusent des fake news. Une dénonciation publique en ligne qui a permis une prise de conscience de plus de 1 400 grandes entreprises. Mais cela ne suffit pas.
La parade ultime des outils de vérifications factuelles ?
Il est illusoire de penser que les journalistes vont pouvoir continuer à traquer à la main toutes les fake news produites par des milliers de sites qui gagnent souvent beaucoup plus qu’eux à produire et diffuser des mensonges. Il faut donc miser sur des outils indépendants et spécialisés dans la vérification des faits (fact checking), qui utilisent l’intelligence artificielle, le traitement automatique du langage et les big data pour repérer les fake news à grande échelle.
Par exemple un outil comme Fakeblok, ou encore Storyzy, une start-up française qui vérifie automatiquement les citations et qui connaît un succès grandissant auprès des médias (comme par exemple Euronews, qui vient de lancer le service de vérification de citations Allquotes), car leur méthode est éprouvée et fiable. Preuve que le numérique est bien un pharmakon. Capable de générer un poison mais aussi son remède.
Jean Pouly, Expert en économie numérique, Université Jean Monnet, Saint-Étienne
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.