Cette tribune a été initialement publiée dans EURACTIV.fr.
Le ministère de la défense russe a créé une division spécialisée dans la propagande et la guerre électronique. Un combat doté de 300 millions d’euros et de 1000 personnes. Un effort tout particulier est fait sur la présidentielle française.
S’entraîner à prendre le Reichstag d’assaut, envoyer trois nouvelles divisions sur le flanc occidental et mettre en place une «armée pour les opérations d’information»: voilà ce qui occupe le ministère de la défense russe.
Ces révélations fracassantes faites le 24 février par le ministre de la Défense Sergueï Choïgou devant les députés ne sont pas sans conséquence pour la sécurité européenne.
Et l’information la plus inattendue concerne l’existence d’une «armée pour les opérations d’information». «La propagande doit être intelligente, avisée et efficace», a expliqué Choïgou aux parlementaires. «La création d’une armée pour les opérations d’information sera beaucoup plus compétente et puissante que ne l’était la contre propagande [soviétique]» assure le ministre.
Selon la société russe de sécurité informatique Zecurion Analytics, citée par le quotidien Kommersant, cette «armée» compte déjà un millier de fantassins informatiques. La Russie prévoit de dépenser autour de 300 millions d’euros par an sur ce projet, ce qui classe au 5ème rang mondial en termes de dépenses liées à l’information «militaire».
L’expression «opérations d’information», telle qu’elle est formulée par les autorités russes, va au-delà de la propagande et la contre-propagande. Bien que cela ne soit pas explicitement formulé, ces opérations englobent également la guerre électronique et la cyberguerre. Cette dernière a fait couler beaucoup d’entre récemment, la Russie ayant été accusée d’avoir utilisé des techniques de piratage informatique pour influencer le déroulement de l’élection présidentielle américaine.
L’apparition d’une armée pour les opérations d’information trouve son origine dans la dernière mouture de la doctrine militaire russe, publiée en 2014. Le document mettait en avant l’impératif d’économie de moyens et d’optimisation des résultats grâce à la propagande. «La guerre de l’information passe au premier plan. Un combat se déroule pour l’esprit et la conscience des masses», explique l’ancien chef d’État-major Iouri Balouïevski, qui estime que «la victoire dans cette guerre sera peut-être plus décisive qu’une victoire dans une guerre classique. Même sans effusion de sang, une telle victoire provoque un choc démoralisateur et paralysant pour tous les organes de pouvoir de l’adversaire».
Un virage amorcé en 2015
Longtemps cantonnée au rôle de «grande muette», l’armée russe a changé de manière cardinale sa communication depuis le début de l’intervention en Syrie en octobre 2015. Le ministère de la Défense s’est mis à bombarder les médias de communiqués fulminants contre les occidentaux et niant systématiquement toutes les accusations de bombardements de civils, d’hôpitaux, etc.
La jeunesse russe n’est pas oubliée. Amplifiant le culte de la victoire, le ministre de la Défense a annoncé la construction près de Moscou d’une réplique du Reichstag, le lieu emblématique de la victoire finale soviétique sur les nazis en 1945.
«Une copie du Reichstag sera construite dans le parc à thème “Patriote”, mais pas à la même échelle, pour que nos petits militaires puissent prendre d’assaut non pas n’importe quoi, mais un lieu concret», a déclaré Choïgou aux députés. Par petits militaires, il fait allusion à «l’armée des jeunes» créée l’année dernière par son ministère pour parfaire «l’éducation patriotique» des jeunes de 7 à 16 ans. Choïgou a enfin annoncé la création de trois nouvelles divisions d’armée de terre, dont la mission sera de «protéger les frontières du pays dans les directions ouest et sud-ouest».
«Fake news» contre «fake news»
Le ministère des affaires étrangères russe met aussi les bouchées doubles dans la guerre de l’information. Sa porte-parole Maria Zakharova a annoncé lundi la création d’une page sur son site répertoriant les «fausses nouvelles» répandues par les médias étrangers sur la Russie. Depuis lundi, 5 articles de la presse anglo-saxonne ont ainsi été estampillés en rouge du mot anglais “FAKE”, suivit de la mention laconique : «cet article met en avant une information ne correspondant pas à la réalité». Aucune explication ou réfutation n’est apportée par le ministère.
Jusqu’ici, les deux fers de lance de la communication du Kremlin étaient la chaîne anglophone Russia Today (RT) et l’agence multilingue sputniknews.com. La version francophone de Russia Today va être lancée incessamment pour coïncider avec la campagne présidentielle française. Selon la radio indépendante russe Écho de Moscou, Russia Today vient de recevoir 20 millions d’euros supplémentaires du budget russe pour la version française.
Les médias officiels russes ont été épinglés à de multiples reprises pour avoir monté en épingle des rumeurs fausses, voire des informations entièrement fabriquées. Ces bobards visent le plus souvent à assimiler l’Ukraine au nazisme (bombes au phosphore lancées sur le Donbass, versions abracadabrantes sur la destruction du Boeing MH17, enfant crucifié dans la rue par l’armée ukrainienne).
Mais l’Europe aussi visée. Ainsi, la télévision russe avait intentionnellement jeté de l’huile sur le feu dans la polémique sur les réfugiés en Allemagne à la fin 2015. Des reportages sur le viol d’une jeune fille germano-russe de 13 ans par des réfugiés d’apparence arabe étaient diffusés en boucle, avant que la presse allemande ne découvre que le viol avait été inventé.
Au lieu de reconnaître l’erreur, Moscou avait alors répondu par la voix du ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, qui avait accusé les médias allemands de “garder cette histoire secrète”.
Par : Emmanuel Grynszpan
Source: EURACTIV.fr