Il y a deux mois, 86 personnes étaient tuées à Nice. Le «Monde» a décidé d’écrire leurs portraits.
Lorsqu’il est mort fauché par un camion sur la promenade des Anglais, le 14 juillet, Mykhaylo Bazelevskyy avait 22 ans, un sourire radieux et des idées plein la tête. Ukrainien, étudiant au Canada, il participait à un programme universitaire de la European Innovation Academy de trois semaines à Nice, centré sur l’entreprenariat et l’innovation. Pour ce jeune homme à la capacité d’émerveillement intacte, le feu d’artifice du 14-Juillet était plus qu’une pause bienvenue : un point d’orgue.
En 22 ans d’existence, Mykhaylo Bazelevskyy avait déjà parcouru un chemin impressionnant. « Micha » était un « gars de la campagne », comme le raconte son frère Andriï, 36 ans. Il avait passé son enfance dans une famille modeste, dans un petit bourg des environs d’Ilichevsk, le grand port industriel de la région d’Odessa. Une zone reculée et pauvre.
C’est Andrïï qui a pris le premier le chemin du Canada. A 17 ans, parce que cette Ukraine des années 1990 offrait peu de perspectives aux jeunes talentueux. Plus tard, les parents Bazelevskyy ont voulu offrir les mêmes chances à Micha. Lui aussi a choisi Edmonton, où il a été reçu à l’université MacEwan.
« Je l’ai aidé au début, mais on voulait qu’il grandisse, qu’il soit indépendant, se souvient Andriï, revenu en Ukraine pour les funérailles et pour soutenir ses parents. Et cela a marché ! Micha est devenu un garçon décidé, volontaire, très impliqué dans la vie de l’université. »
A MacEwan, Micha étudiait la logistique et s’intéressait particulièrement à l’environnement, à l’urbanisme, aux questions de recyclage… Son rêve était de travailler pour Tesla, le constructeur américain de voitures électriques. C’est grâce à un projet d’application de scanner destinée à économiser du papier que le jeune homme avait obtenu son billet pour Nice.
Il y a aussi sa passion pour les danses latines – samba, cha-cha-cha, tango… –, que Micha avait commencé à pratiquer dans son enfance, avant de participer à des compétitions qui allaient le conduire à travers toute l’Europe. A l’université, il avait fondé un club de danse, moyen parfait pour s’intégrer à un monde nouveau, si éloigné de son Ukraine natale.
« Malgré cela, il était humble, infiniment discret, témoigne Andriï. J’ai moi-même appris beaucoup de choses sur mon frère seulement après sa mort. » Comme les cinq bourses étudiantes remportées en quatre ans pour ses bons résultats universitaires, succès que le jeune homme avait gardés pour lui.
Cette modestie, Mykhaylo Bazelevskyy l’appliquait aussi aux événements qui ont bouleversé l’Ukraine. « L’esprit du Maïdan correspondait parfaitement à son tempérament ouvert et progressiste, dit Andriï. Quand la guerre a débuté, il est aussi devenu un patriote convaincu, suivant à distance et avec anxiété les événements du Donbass. Mais il gardait toujours son esprit critique. Même quand il pensait avoir raison, il avait la sagesse de questionner ses propres croyances. » Micha avait aussi accueilli avec scepticisme le changement de nom de son Illichevsk natal (en référence à Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine) en Tchornomorsk.
Sa rencontre avec la France avait été un coup de foudre. En 2014, il avait étudié quatre mois à Lille, avec une virée à Paris. Le vol de son sac à dos près de la tour Eiffel n’avait pas entamé son enthousiasme. « Micha n’avait peur de rien, il aimait la foule », raconte Andriï. « Quand il a reçu la réponse pour le séjour à Nice, nous étions à l’aéroport d’Edmonton. Je l’avais accompagné pour son départ vers l’Ukraine, où il rentrait pour l’été. Un e-mail est arrivé et Micha s’est mis à sauter comme un fou dans l’aéroport. C’est la dernière fois que je l’ai vu. Heureux. »
Par: Benoît Vitkine
Source: Le Monde.fr