Les actualités dans la rubrique «Contexte» sont pas des fakes. Nous les publions pour vous informer des événements de la guerre d’information entre l’Ukraine et la Russie.
Un an après la signature des accords de Minsk, le 12 février 2015, l’heure n’est pas aux célébrations, mais bien plutôt à l’inquiétude. Ces accords, destinés à mettre un terme au conflit armé dans l’est de l’Ukraine, n’en sont pas à leur première secousse : le 2 octobre, à l’issue d’un sommet à l’Elysée, les parties prenantes – France, Allemagne, Russie, Ukraine – avaient acté le retard pris dans le processus et fixé comme nouvelle échéance le courant de l’année 2016, au lieu de la fin 2015.
Mais les craintes qui s’expriment à l’occasion de ce premier anniversaire sont plus importantes que jamais, et c’est désormais l’Ukraine, jusqu’à présent attachée à tenir le rôle du bon élève, qui se retrouve dans le collimateur. « La situation à Kiev constitue notre principale inquiétude », confirme un diplomate français, qui se dit« peu optimiste à court terme ».
« Moscou n’a pas abandonné ses arrière-pensées »
Les conséquences de ce basculement pourraient être lourdes, à l’heure où les partisans d’une normalisation avec la Russie se font de plus en plus entendre en France et en Europe. « La fatigue sur le sujet ukrainien pourrait se transformer rapidement en fatigue vis-à-vis du partenaire ukrainien jugé non fiable, estime ce même diplomate. Et la question des sanctions contre la Russie [dont la levée, hormis celles concernant l’annexion de la Crimée, est explicitement corrélée à l’application complète des accords de Minsk] se poserait de façon bien différente, quand bien même Moscou n’a pas abandonné ses arrière-pensées et ses manœuvres. »
L’incapacité du président ukrainien, Petro Porochenko, à faire adopter un « statut spécial » pour les régions du Donbass sous contrôle séparatiste constitue la principale source d’inquiétude. Que ce soit par calcul politique ou par refus d’une réforme qui revient à déléguer de larges pans de souveraineté aux chefs rebelles du Donbass, de nombreux députés, y compris dans la majorité, s’opposent à un tel texte. Le 31 août 2015, le vote en première lecture de cette réforme constitutionnelle avait coûté à la coalition au pouvoir le départ de l’un de ses membres, le Parti radical du populiste Oleh Liachko, et provoqué des violences meurtrières. Les espoirs de M. Porochenko d’obtenir une majorité constitutionnelle des deux tiers paraissent aujourd’hui bien minces.
Depuis mars 2015, 600 soldats ukrainiens sont morts au front
Les accords de Minsk sont d’autant plus difficilement acceptés à Kiev que, malgré d’importantes concessions, ils n’ont jamais complètement permis de faire cesser les violences sur le terrain. Depuis mars 2015, quelque 600 soldats ukrainiens sont morts au front. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) se garde d’attribuer à l’un ou l’autre camp la responsabilité des violations du cessez-le-feu, mais la poursuite des livraisons d’armes aux rebelles par la Russie alimente la tension. Les pertes rebelles sont, elles, classées « secret défense », et Le Monde, comme nombre de médias étrangers, n’a plus accès au territoire séparatiste.
« Poutine maintient suffisamment de pression sur le terrain pour rendre les choses impossibles à Porochenko. Il voudrait pousser l’Ukraine à la faute en espérant que les Occidentaux lèveront les sanctions », assure un autre diplomate français.« On sent que nos moindres manquements sont scrutés, confirme de son côté un diplomate ukrainien. Certains, en France comme en Allemagne, n’attendent que l’occasion de pouvoir nous attribuer la responsabilité d’un éventuel échec. »
Une autre source de blocages tient à ce qu’un médiateur européen participant aux discussions régulièrement organisées à Minsk nomme « les problèmes d’interprétation de calendrier ». Pour parvenir à un accord, les négociateurs du 12 février ont sciemment laissé un certain flou dans le texte quant à la mise en œuvre des différentes étapes.
Là aussi, la partie ukrainienne se trouve prise en défaut : le 2 octobre, à l’Elysée, François Hollande et Angela Merkel annonçaient un accord pour que le « retrait des groupes armés illégaux » (qui pourrait prendre la forme d’une légalisation des groupes rebelles) n’intervienne qu’en toute fin de processus, en même temps que la restitution à l’Ukraine du contrôle de la frontière russo-ukrainienne.
Ce calendrier ressemblait à une nouvelle concession ukrainienne. Sauf que, selon une source présente à l’Elysée, « Porochenko n’a pas vraiment approuvé ce point, ni exprimé clairement son opposition ». Et, depuis, la partie ukrainienne refuse catégoriquement un tel scénario, avec un argument simple : comment imaginer que les élections censées se tenir d’ici là dans le Donbass puissent être considérées comme correspondant aux standards de l’OSCE – un point explicitement mentionné – si elles ont lieu sous le contrôle de groupes armés ?
La tenue de ces élections, qui doivent être organisées en concertation entre les deux parties, selon la législation ukrainienne, constitue une autre difficulté. Et là, assure une source française, « les principaux blocages viennent des séparatistes », qui refusent notamment de laisser concourir les partis ukrainiens.« Sur ce sujet, Moscou ne semble pas faire pression de façon très déterminée sur ses protégés », relève la même source.
Par Benoit Vitkine
La source: Le Monde
Le photo: Le président François Hollande et son homologue ukrainien, Petro Porochenko, au palais de l’Elysée, vendredi 2 octobre 2015, à Paris. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH POLITICS