Les actualités dans la rubrique «Contexte» sont pas des fakes. Nous les publions pour vous informer des événements de la guerre d’information entre l’Ukraine et la Russie.
La chaîne cryptée diffuse ce lundi 1er février un reportage qui prétend démasquer «les bandes armées d’extrême-droite» qui ont fait la révolution ukrainienne. Il comporte beaucoup d’erreurs factuelles et épouse sans nuance la vision véhiculée par les médias russes.
«Spécial »? Sûrement. Mais «investigation»? Pas du tout. Le reportage réalisé par Paul Moreira qui sera diffusé lundi 1er février au soir sur Canal +, dans l’émission qui porte ce nom, et consacré aux hommes qui ont fait la révolution ukrainienne, ne contient pas de révélation et aucun fait nouveau. Il compte en revanche pas mal d’erreurs factuelles, et semble nourri par une obsession anti-américaine.
Sous le titre «Les masques de la révolution ukrainienne» il prétend faire découvrir les «milices incontrôlées d’extrême-droite» qui ont joué un rôle déterminant dans la révolution puis la guerre du Donbass. Il affirme que «derrière les gentils manifestants du Maidan», se trouvaient des groupes néo-nazis qui se sont armés, à la faveur de ces évènements et qui dictent aujourd’hui sa politique au nouveau pouvoir de Kiev. Il insiste longuement sur l’idée que les Etats-Unis ont volontairement fermé les yeux sur l’existence de ces groupes, parce qu’ils avaient besoin d’eux «pour bloquer Poutine». Paul Moreira se rend au sein de l’organisation Pravy Sektor, puis du bataillon Azov. Il ne précise pas que les premiers sont des militants assez isolés et les seconds un régiment désormais totalement intégré au sein de l’armée ukrainienne. Il revient longuement sur les évènements tragiques d’Odessa : la mort de manifestants pro-russes dans l’incendie de la maison des syndicats, le 2 mai 2014. Puis il participe au «Yes forum», à Kiev, où il croise des représentants américains venus exprimer leur soutien à la politique du nouveau gouvernement de Kiev.
Il conclut en que l’Ukraine est aujourd’hui un pays en proie au chaos, à la merci de bandes d’extrémistes armés et sous la coupe des Etats-Unis. Le ton est celui du commentaire plus que de l’exposé des faits. La nuance, on l’aura compris, n’a pas ici sa place.
Chemin faisant, Paul Moreira commet quelques erreurs lourdes. Il affirme ainsi que le nouveau pouvoir ukrainien à voulu «interdire l’usage du russe» après la révolution de 2014. Or il n’en a jamais été question. Rappelons les faits : au moment de la révolution, certains députés ont voulu enlever au Russe son statut de langue officielle dans certaines régions de l’est. Et le président s’y est opposé. Personne n’a jamais voulu pénaliser les Ukrainiens qui emploient le russe dans leur vie quotidienne. Et le suggérer relève de l’ignorance ou de la volonté de désinformer.
La chute du président – Spécial investigation
De même, Paul Moreira présente Oleg Tiagnibok, le dirigeant du parti Svoboda, comme étant «issu de la mouvance néo-nazie». Il est un ultra-conservateur et un nationaliste. On peut le classer à l’extrême-droite. Mais cela ne fait pas de lui un admirateur d’Adolf Hitler. En réalité, il est plus proche d’un Viktor Orban, premier ministre de Hongrie, ou d’un Jaroslaw Kazczynski, le dirigeant du PiS, le parti au pouvoir en Pologne. On a le droit de ne pas l’aimer mais il n’est pas nécessaire de dresser un faux portrait de lui pour le combattre. Le commentaire pratique aussi l’amalgame lorsqu’il présente la nouvelle ministre des finances Natalia Jaresko comme étant «une ancienne diplomate américaine», sans autre précision. La réalité est bien différente. Natalia Jaresko est en effet née aux États-Unis. Mais dans une famille ukrainienne de la diaspora. Elle a brièvement travaillé pour l’administration américaine. Elle est venue vivre en Ukraine dés 1993 et n’a plus quitté ce pays depuis. Elle y travaillait dans la finance. Elle n’est pas l’agent d’influence des Etats-Unis, mais plutôt l’incarnation du lien entre l’Ukraine et sa diaspora. Ces Ukrainiens de l’étranger, en effet, ont fui devant l’avancée des Soviétiques, dans les années 1920 ou après 1939. Ils ont vécu, dans l’exil avec le sentiment qu’ils devaient conserver les traditions. Ils ont espéré des changements dans leur pays d’origine. Ils se sont transmis cet espoir de génération en génération. Certains d’entre eux reviennent aujourd’hui, alors que des changements commencent à se produire. Natalia Jaresko en est l’illustration.
Le plus dérangeant est que le reportage de Paul Moreira épouse au plus près la vision de l’Ukraine véhiculée depuis plusieurs années par le Kremlin. Il offre une illustration, dans un langage plus moderne et plus jeune, des thèses contenues dans les discours de Vladimir Poutine. Des reportages semblables à celui-ci, avec les mêmes images violentes, les mêmes déformations des faits, les mêmes commentaires, on a pu en voir des dizaines sur les chaines russes. Il est assez désolant d’être rattrapé, en France, par télé-Poutine.
Par Renaud Rebardy
La source Libérations. Blogue Comité Ukraine