Le jour de la signature de la décision historique des États-Unis d’accorder à l’Ukraine une aide économique à grande échelle dans le cadre du « prêt-bail », les médias russes n’ont produit que quelques publications au ton sec. Les chaînes de télévision pro-Kremlin en ont dit un peu plus. Pour la propagande russe, le fait même que l’armée ukrainienne ait reçu des armements supplémentaires est trop irritant. Sous quel angle les médias russes présentent-ils cet événement, et comment déforment-ils son rôle pour la poursuite de la guerre avec l’Ukraine ? Pour en savoir plus, lisez notre article.
Les sénateurs américains ont présenté un projet de loi visant à fournir à l’Ukraine des armes « à titre de prêt » au début du mois de janvier, alors que l’on annonçait une invasion russe imminente. En raison de la guerre totale en cours, la Chambre des représentants des États-Unis a approuvé, le 28 avril, un projet de loi autorisant la fourniture d’armes à l’Ukraine dans le cadre du programme de « prêt-bail ». La loi a été signée par le président américain Joe Biden le 9 mai. Le président de la Douma d’État russe, Viatcheslav Volodine, a déclaré dès le 29 avril que « le programme prêt-bail conduira l’Ukraine dans un gouffre de dettes, et de nombreuses générations de résidents du pays devront en payer le prix ». Fin avril, Dmitri Peskov a également exprimé l’idée selon laquelle « fournir des armes à l’Ukraine entraînera la déstabilisation de tout le continent ». Mais le rappel de l’aide apportée par les États-Unis à l’URSS au cours de la Seconde Guerre mondiale pourrait ne pas être très réjouissant d’un point de vue idéologique. De plus, Vladimir Poutine lui-même a rappelé il y a un an que le « prêt-bail » américain a permis à l’armée soviétique de combattre beaucoup plus facilement. « En général, les livraisons de prêt-bail et l’ouverture d’un second front ont joué un rôle important dans la défaite d’un ennemi commun – le nazisme », avait à l’époque déclaré le président russe.
Cette ambiguïté de la situation a conduit de nombreux médias russes à faire comme si de rien n’était le jour de la signature. RBC, TASS, RT et d’autres médias de propagande n’ont mentionné que formellement, sans donner de détails, que Joe Biden avait accordé le « prêt-bail » à l’Ukraine le 9 mai, et Vladimir Zelensky a qualifié cette décision « d’historique ». Pourtant, certaines sources d’information russes, en plus de faire des parallèles historiques avec 1941, ont néanmoins décidé de « rappeler » à leur public les conséquences économiques et militaires désastreuses de cette décision pour l’Ukraine et son armée. Sans commenter les détails de l’accord entre les États-Unis et l’Ukraine, un certain nombre « d’experts » militaires russes ont donné leur vision de la situation. Par exemple, la publication russe Gazeta.ru a affirmé catégoriquement que le « prêt-bail » ukrainien était « un effet à court terme, dont la propagande occidentale a besoin maintenant ». À l’avenir, ces armes seront détruites par les troupes russes, et les États-Unis recevront toujours leur argent pour elles. Selon Andrei Koshkin, qui a commenté la question pour Moskovskiy Komsomolets, le « prêt-bail » est « exclusivement un outil destiné à asservir l’Ukraine et à affaiblir la Russie par l’Occident. » Le célèbre propagandiste pro-russe Scott Ritter, qui avait auparavant fait des déclarations absurdes sur les actions de l’armée russe à Marioupol, conclut très prudemment dans son commentaire à Izvestia que « plus l’Ukraine recevra d’armes, plus il sera difficile de vaincre les Ukrainiens. »
Contrairement aux médias, les chaînes de télévision pro-Kremlin ont été plus actives dans leur couverture du sujet. Les commentaires de propagande sur le « prêt-bail » vont de la nécessité pour les États-Unis de faire la guerre « jusqu’au dernier ukrainien » à la menace directe d’une « frappe nucléaire préventive » si la Russie n’a pas d’autre choix. « Une fois que Moscou n’aura pas réussi à traiter avec les militaires ukrainiens, le sort de son voisin sera scellé. Seules les régions qui ont le temps de rejoindre la Russie seront sauvées », a déclaré le propagandiste russe et correspondant militaire de VGTRK, Alexander Sladkov. Ainsi, le thème du « prêt-bail » est devenu un déclencheur de spéculations sur les capacités nucléaires russes – un argument que le Kremlin saisit dans les situations critiques. L’aide militaire américaine à l’Ukraine frappe Moscou là où ça fait mal.
Afin de discréditer autant que possible le « prêt-bail » ukrainien, la propagande russe produit également de nombreux fakes sur « l’appauvrissement » de l’Ukraine dû aux paiements des fournitures du prêt-bail et sur la conduite d’une « guerre par procuration en Ukraine avec l’ensemble du bloc de l’OTAN ». Pour confirmer cela, des informations se répandent selon lesquelles l’Ukraine aurait déjà commencé à payer les livraisons d’armes avec des céréales, qui sont exportées en ce moment même depuis les oblasts d’Odessa et de Mykolaiv. En réalité, en ce qui concerne l’Ukraine, les États-Unis ont expressément exclu la date limite de remboursement du « prêt-bail ». Ce prêt d’aide militaire devra être remboursé après la victoire : par défaut, tout ce qui a été transféré dans le cadre du lend-lease devra être rendu. Si l’arme transférée a été endommagée, se réparation devra être remboursée, si elle est encore en service et reste en Ukraine – elle sera remboursée intégralement, si elle a été détruite – elle sera amortie. Il n’est donc pas nécessaire de « prélever des céréales » pour payer les fournitures militaires. Aujourd’hui, la question de remboursement dans le cadre du « prêt-bail », comme en 1941, est passée à l’arrière-plan dans le contexte de la menace russe pour le monde civilisé.
Selon Serhiy Djerdzh, chef de la ligue publique Ukraine-OTAN, la loi lend-lease va considérablement accélérer le rythme des livraisons, ce dont le Kremlin ne veut pas non plus parler, car la « guerre d’usure » joue contre la Russie. Grâce au prêt-bail, tous les besoins en armement de l’Ukraine seront couverts par les bases américaines européennes : des munitions à la nourriture pour les militaires et au carburant pour les équipements. De même, les États-Unis pourront désormais fournir des armes plus lourdes à l’Ukraine : artillerie, véhicules blindés et obus.
La Fédération de Russie a longtemps vanté son invincibilité, mais les pertes et les défaites dans la guerre contre l’Ukraine ont mis fin à ce mythe. Les propagandistes doivent maintenant faire comprendre à leur public que la Russie n’est plus seulement en guerre contre l’Ukraine, mais contre tous les pays de l’UE et de l’OTAN. Dans les marges du Komsomolskaya Pravda d’aujourd’hui, le correspondant de guerre propagandiste Alexander Kotz déclare sans ambages : « Nous ne piétinons pas l’Ukraine, mais nous écrasons l’OTAN. Pour ceux qui pensent que l’avancée des troupes russes est trop lente, il est temps de comprendre ce à quoi nous sommes réellement confrontés. » Dmitry Rogozin a également déclaré le 8 mai, la veille de la signature de la législation sur le prêt-bail par Joe Biden, que « l’OTAN nous fait la guerre. Il ne l’a pas déclaré, mais cela ne change rien. C’est évident pour tout le monde maintenant. Les forces de sécurité nationale et les forces armées ukrainiennes sont du matériel consommable, de la chair à canon pour l’OTAN ». L’agence russe RIA Novosti se fait l’écho de M. Rogozin en affirmant que l’administration de Joe Biden ne bénéficierait pas d’une cessation anticipée des hostilités : « Ils profitent de la prolongation de ce conflit pour renforcer leur position et affaiblir la Russie », écrivent les propagandistes russes.
La décision américaine de « prêter des équipements et des biens militaires au gouvernement de l’Ukraine ou aux gouvernements d’Europe de l’Est » constitue une menace très réelle pour l’armée russe et un sérieux facteur de démotivation pour les militaires russes. Le Kremlin tente donc de minimiser la présence du thème du « prêt-bail » dans son champ d’information.