La nouvelle cathédrale du Patriarcat de Moscou, située à deux pas de la Tour Eiffel, devient le second symbole architectural de l’influence russe en France après le Pont Alexandre III.
Les coupoles de la nouvelle cathédrale orthodoxe de la Sainte Trinité du quai Branly dépassent impatiemment de la clôture de construction. La préparation pour l’arrivée de Poutine à Paris, prévue entre le 18 et 20 Octobre, est presque terminée. Les médias russes francophones fanfaronnent, disant qu’il ne reste que quelques détails pour la finalisation de cette œuvre. Officiellement, le chef du Kremlin est invité à l’ouverture du «Centre culturel», qui fonctionnera sous l’égide de l’église orthodoxe du Patriarcat de Moscou. Cependant, il y a peu de doute que le but principal de cette visite est la perspective de levée des sanctions exercées par l’UE contre la Russie.
Il est difficile de le prouver, mais il semble fort que Paris, en promouvant l’annulation des sanctions, tente d’obtenir de meilleures positions pour l’activité commerciale française et amplifier la coopération entre la France et la Russie. Autrement dit, c’est difficile d’expliquer pourquoi la France a cassé la première le tabou informel sur l’invitation de Poutine aux capitales de l’UE, qui existait de facto à cause de l’annexion de la Crimée.
«La pression des milieux d’affaires sur François Hollande est trop grande, le lobby pro-Kremlin en France fait campagne pour «la restauration d’un partenariat complet », – estime un journaliste international français. Mais il est intéressant de noter que les élections de la Douma ont gravement affaibli Poutine. La participation officielle est de 47%, ce qui signifie qu’en réalité, elle était encore plus basse. «Russie unie», (en russe: Единая Россия) le parti de Poutine, a prétendument reçu 55%. Alors, quelle est donc la situation réelle? Représente-il un tiers des citoyens? Ces données montrent que Poutine n’est pas un «leader fort» comme le lobby pro-Kremlin en France prétend. En vérité, le poutinisme n’est qu’une prise du pouvoir. Les élections à la Douma ont montré que les Russes n’aiment pas leur leader. Il le subissent silencieusement, sans faire plus.
A quel point les dirigeants politiques français, au plus hauts niveaux de responsabilité, chargés de l’ordre du jour lors de la visite du maître du Kremlin, se rendent-ils compte qu’ils vont accueillir un «nouveau» Poutine affaibli? Seront-ils en mesure de profiter de sa vulnérabilité, pour ne pas céder sur des principes fondamentaux, aux normes du droit international, ce qui est extrêmement important pour l’Ukraine? Pas sur…
Ce qui ne fait aucune doute, par contre, c’est que l’avenir du «format Normandie» (la configuration diplomatique adoptée pendant la Guerre du Donbass) sera inévitablement évoquée. Il ne peut pas être autrement : Paris fait partie du mécanisme de consultations politiques engagées entre les dirigeants de l’Ukraine, de la Russie et l’Allemagne et de la France.
Des experts parlent de plus en plus des nouveaux négociateurs qui s’imposeraient, étant appuyés par Kyiv : en particulier, les États-Unis, la Pologne, l’Union Européenne, l’ONU… diverses versions sont examinés. Est-ce que Paris soutiendra l’élargissement du format de négociations? Vu la présidentielle qui s’approche – pas forcément, bien que l’espoir est toujours dernier à mourir.
Pourtant, les déclarations du ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, sur le «devoir» de l’Ukraine à donner son accord pour le statut spécial du Donbass, laissent plutôt supposer ce que Paris prépare pour l’invité de Moscou : un accueil plus flexible qu’exigeant. L’inauguration du «centre culturel» russe aura lieu en Octobre, distinct de la dédicace de l’église, qui n’est pas prête. Pourquoi se dépêcher quand il y a une excuse légitime de reporter les célébrations à plus tard? En effet, la Russie n’a pas bougé le petit doigt pour la mise en œuvre des accords de Minsk, si insuffisants et approximatifs soient-ils. Pourquoi met-on à jour «l’alliance de l’entente chaleureuse russo-française» juste maintenant? Les questions sont nombreuses au sujet de cette église orthodoxe dans le centre de Paris, construit avec l’argent d’un État laïque.
En 2009, le Kremlin a acheté un terrain de 8400 mètres carrés à Paris pour 70 millions d’euros, avec l’accord du Président Sarkozy. Précédemment, c’était le service météorologique français qui était propriétaire du lieu. La Russie était mise en concurrence avec le Canada et l’Arabie Saoudite. Par ailleurs, «Le Nouvel Observateur» à publié un enquête affirmant qu’il ne s’agissait pas d’un appel d’offre transparent. Officiellement, les Canadiens ont changé d’avis, et les Saoudiens auraient offert une somme moins intéressante. La vérité ? Est-ce qu’on le saura un jour ?
Tout de suite, la Russie a annoncé un investissement supplémentaire de 100 millions d’euros pour construire un centre culturel, une école primaire franco-russe, une bibliothèque, un café, plusieurs salles d’exposition et une paroisse. Tout cela se situe dans quatre bâtiments à trois étages. «Personne ne devrait être induit en erreur par la rhétorique religieuse et contes sur la spiritualité, – dit Maria, une paroissienne de l’église russe à l’étranger. – La plupart des temples de la Russie sont délabrés et abandonnés. Il est étonnant que le berceau des droits de l’homme a décidé de livrer une tribune notable à Kirill Goundyaev, qui déclare que les droits de l’homme sont la fiction nuisible qui contredit la doctrine chrétienne. Dans ce cas il ne s’agit pas de spiritualité, ce n’est que de la politique».
L’église russe et le «centre culturel» se préparent à ouvrir leur portes au public, mais les Bons Samaritains dans le Parlement français ont déjà pris soin de garantir des droits diplomatiques à ce terrain et aux édifices. «Ce nouveau bâtiment a déjà gagné le statut d’inviolabilité territoriale auto-proclamée, formant une enclave russe au cœur de la capitale française», – dit Anne-Marie Goussard, président du groupe d’amitié France-Lituanie.
L’Assemblée Nationale prépare un projet de la loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Ainsi, on tente d’éviter la possibilité de confiscation en faveur des actionnaires de Ioukos. Le nom sonne bien, mais il y a un problème: ce document contient une disposition législative controversée sur la protection de la propriété des États étrangers. Beaucoup d’experts ont supposé qu’il y avait du lobbying en faveur de ce nouveau centre « culturel orthodoxe» russe située à deux pas de la Tour Eiffel. La Résolution de l’Assemblée sur le soutien de la levée des sanctions contre la Russie démontre bien que les députés français prêts à complaire au Kremlin ne manquent pas.
D’où vient cet enchantement à propos de la Russie? «L’historien Alain Besançon a bien expliqué la différence entre la vision politique française prévalant de tout ce qui concerne la Russie et la réalité géopolitique, – a dit dans une conversation avec Tyzhden.ua Jean-Sylvestre Mongrenier, politologue français. – Tout d’abord, il y a les souvenirs sur l’alliance franco-russe qui existait en 1890. A l’époque, la France sortait d’un certain isolement diplomatique et se trouvait dans une phase d’antagonisme dur avec l’Allemagne. Deuxièmement, c’est le résultat de la politique ambiguë de Charles de Gaulle, de ce double jeu liant anti-américanisme avec les tentatives de coopération avec l’Union soviétique pour la création d’une alternative aux relations entre Paris et Washington».
La mémoire de l’alliance franco-russe du XIXe siècle est immortalisée avec le Pont grandiose Alexandre-III, franchissant la Seine. Il faut comprendre que la nouvelle église russe à Paris symbolise non seulement la légitimation du régime de Poutine par l’église, mais la complaisance de la classe politique française aux nombreux crimes commis par ce régime.
«On peut expliquer les passions pro-russe des élites françaises par le fait qu’il est plus facile d’infiltrer la France que les démocraties anglo-saxonnes, qui sont moins centralisées. En outre, leur société civile est beaucoup mieux organisée, – dit l’historienne Françoise Thom. Nous voyons que pour le gouvernement, il est difficile de résister au lobby pro-russe».
La session photo triomphante que Poutine fera sur le phone des dômes orthodoxes sur la Seine dans quatre semaines sera un argument muet en faveur de la politique agressive du Kremlin. Ils donnent des raisons aux Russes d’affirmer leur influence et leur popularité. «La pire conséquence d’un tel comportement des Français renforce l’aile la plus agressive des dirigeants du Kremlin. Il nourrit leur espoir que l’Europe va céder car la France a déjà montré un exemple», estime Françoise Thom.
La coopération avec l’agresseur, un dictateur ou un usurpateur a une définition claire – c’est de la collaboration. Les politiciens occidentaux n’aiment pas employer ce terme quand il s’agit de négociations avec la Russie. Mais il est difficile de caractériser autrement cet encouragement de fraude politique. «Pour bien comprendre M. Poutine, dont certains psychiatres l’ayant examiné à distance ont estimé qu’il n’était pas toujours dans un état normal, il convient de prendre en compte deux facteurs, – a écrit dans son blog sur Huffingtonpost.fr. enseignant à Sciences-Po à Paris, Patrick Martin-Genier. – Il vient du KGB dont il fut un des derniers élèves, donc il ruse jusqu’au bout et cherche les rapports de force. Il continue aussi de mener la politique du glacis, selon laquelle les territoires proches de la Russie doivent rester en droit ou en fait sous son contrôle…».
Ainsi, Poutine viendra à la présentation du «centre culturel», que beaucoup de gens voient comme un officine d’espionnage, en qualité de nouveau tsar. Certes, ce n’est pas le cas d’un prince charmant mais le symbole de la présence ubiquiste de Moscou. Cela se déroule avec un aplomb mystificateur, malgré des élections infructueuses. Dans la version de Poutine, on peut considérer la Sainte Trinité comme l’unité du Patriarcat de Moscou, des autorités russes et des services de sécurité. L’inauguration même s’apprête à un parallèle avec une opération de services secrets. Mais Paris ne veut rien savoir et continue de se bercer avec des histoires à propos d’une «coopération mutuellement avantageuse». On dit que les mauvaises compagnies corrompent les bonnes mœurs. Un suspense nous intrigue alors: quelle autre capitale européenne va imiter l’exemple de la France et invitera Poutine?
Par Alla Lazareva
Source: Tyzhden.ua